Veille stratégique – Décembre 2022 2/2

FRANCE 

Une conférence internationale et bilatérale tenue à Paris pour le soutien au peuple ukrainien 

Mardi 13 décembre s’est tenu à Paris la conférence « Solidaires pour le peuple ukrainien ». Présidé par Emmanuel Macron et Volodymyr Zelensky, l’évènement a réuni des représentants de 46 États et 24 organisations internationales et avait à dessein d’apporter une aide d’urgence au peuple ukrainien. Face à la « terreur énergétique » imposée par la Russie, le Président ukrainien a rappelé que les bombardements sur les centrales électriques ont entraîné de gros déficits énergétiques dont les conséquences se répercutent actuellement sur le fonctionnement des infrastructures de transports, sur l’offre médicale mais aussi sur l’approvisionnement alimentaire de son pays. En marge de la conférence des donateurs internationaux, une seconde conférence franco-ukrainienne s’est tenue dans l’après-midi et a rassemblé près de 500 entreprises françaises pour œuvrer pour la reconstruction du pays et répondre aux besoins critiques des ukrainiens.

  • A l’issue de la journée, un milliard d’euros ont été récoltés pour soutenir le peuple ukrainien cet hiver. Les dons ont été répartis selon l’urgence de la demande avec 415 millions d’euros pour le secteur de l’énergie et plusieurs dizaines de millions d’euros pour l’approvisionnement en eau, alimentation et pour la santé et les transports. Depuis le début du conflit, l’institut de Kiel estime l’Union Européenne comme étant le premier donateur en direction de Kiev.
  • Cet événement fut aussi l’occasion pour le Président français d’annoncer une contribution exceptionnelle de 76,5 millions d’euros – 63 générateurs électriques de haute puissance et plusieurs transformateurs – qui s’ajoutent aux 200 millions engagés par la France en 2022. Par son soutien à la fois bilatéral et européen, Paris se classe comme troisième contributeur mondial pour l’effort de guerre en Ukraine.
  • En parallèle de ce soutien financier, la France est particulièrement impliquée au sein de la mission “Aigle” de l’OTAN, qui mobilise près de 1000 soldats tricolores au centre d’entraînement militaire de Cincu (Roumanie) pour se préparer à une éventuelle confrontation avec la Russie. Il s’agit du déploiement français à l’étranger le plus important depuis le retrait du Mali. 

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EUROPE 

En dépit des débats, la commande allemande de F-35A actée par le Bundestag

Mercredi 14 décembre, la Chambre basse allemande a donné, après plusieurs semaines de concertation, son feu vert pour une commande de 35 avions de combat F-35A auprès de Lockheed-Martin. Le montant de cette commande s’élèvera à près de 8,2 milliards d’euros, et sera financé via le fonds spécial de 100 milliards d’euros mis en place par Olaf Scholz afin de moderniser l’armée allemande. La formation des pilotes allemands devrait débuter en 2026 sur le continent américain, et les premiers avions devraient être livrés à partir de 2027, pour une capacité opérationnelle initiale en 2028 et un aboutissement complet de la livraison d’ici 2029. 

  • La commande, réalisée dans le but de remplacer les Panavia Tornado en fin de vie de la Luftwaffe, a été critiquée par plusieurs observateurs allemands. D’une part, le coût de la commande est particulièrement conséquent : si l’Allemagne demeure l’un des partenaires essentiels des Etats-Unis en Europe, la vente de ces 35 F-35A a été autorisée pour environ 8,4 milliards de dollars, alors même que la commande suisse pour 36 avions du même modèle évoquée il y a quelques semaines par SPDS n’a été facturée que 5,3 milliards de dollars.
  • D’autre part, au vu de la sensibilité des technologies à bord du F-35, seuls le gouvernement américain et ses sous-traitants sont autorisés à réaliser certaines opérations d’entretien. L’Allemagne a choisi de ne demander aucune garantie d’implication de l’industrie allemande au moment de la signature du contrat.

 

Tensions entre Turquie et Grèce face au missile Tayfun

Le 11 décembre dernier, au cours d’une réunion publique, le président Recep Tayyip Erdogan a eu des mots particulièrement menaçants envers son voisin hélène : «Nous avons maintenant commencé à produire nos propres missiles. Cela effraie les Grecs, bien sûr. Quand vous dites ‘Tayfun’, les Grecs ont peur. Ils se disent qu’il pourrait frapper Athènes. […] Si vous essayez d’envoyer sur les îles [contestées de la mer Égée] les armes que vous avez reçues des États-Unis […] un pays comme la Turquie ne va pas se contenter de ramasser des poires : il va faire quelque chose ». Cette réunion se tenait après un essai balistique réalisé le 18 octobre, ayant amené à la découverte mondiale de l’existence du missile turc Tayfun, capable de frapper à près de 560 kilomètres.

  • Dès le lendemain, le ministre des affaires étrangères grec Nikos Dendias a pris la parole pour dénoncer une “menace […] proférée par un allié de l’OTAN” constituant un acte “à la fois inacceptable et tout à fait condamnable”.
  • Si les deux pays sont membres de l’alliance atlantique, leurs relations sont historiquement tendues sur le plan géopolitique (île de Chypre, gisements de ressources offshores, guerre syrienne et immigration, etc.). Le secrétariat général de l’OTAN s’est refusé à tout commentaire, tout comme l’Union Européenne à laquelle appartient la Grèce.

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AMÉRIQUES

SpaceX lance Starshield

Le lundi 5 décembre, l’entreprise américaine spécialisée dans le domaine de l’astronautique et du vol spatial SpaceX a dévoilé sur son site internet un nouveau service satellitaire dédié aux usages militaires et gouvernementaux, appelé Starshield. La société a expliqué que le service « exploite la technologie Starlink de SpaceX (3200 satellites actifs) et sa capacité de lancement (la fusée réutilisable Falcon 9) pour soutenir et renforcer la sécurité nationale ». Trois domaines seront particulièrement investis par Starshield : l’observation de la Terre, les communications et l’emport de “charges utiles” variées et classifiées. 

  • Le service Starshield devrait bénéficier aux “agences gouvernementales” du secteur de la sécurité nationale qui le souhaitent. Le site internet ne donne que peu de détails sur les futurs bénéficiaires de Starshield et sur ses offres.
  • Déployée par SpaceX au profit de l’Ukraine, la constellation en orbite basse (550 kilomètres) Starlink a permis de pallier les défaillances du réseau terrestre bombardé, en lui permettant de rester connectée et de collecter des informations utiles aux militaires sur le front.
  • Elon Musk espère convaincre le Département de la défense américain avec la  capacité cryptographique supplémentaire de Starshield, le Pentagone utilisant ses services jusqu’en 2024. Inquiet des risques de piratage encourus par la constellation Starlink, le Pentagone avait décidé il y a quelques mois de lancer sa propre constellation de connectivité ultra-sécurisée de nouvelle génération, “Transport Layer” (126 satellites). Si SpaceX envoie régulièrement des satellites pour le compte du Pentagone, l’entreprise a également été choisie pour développer et lancer un réseau de surveillance et de suivi de missiles hypersoniques.

Un sommet des leaders africains à Washington

Du 13 au 15 décembre, l’administration Biden a organisé un sommet multilatéral à Washington. Quarante-neuf délégations gouvernementales s’y sont réunies : l’Union africaine, des représentants des sociétés civiles, du monde des affaires et des diasporas. Joe Biden y a annoncé le soutien de son pays à l’attribution d’un statut de membre permanent à l’Union africaine lors des sommets du G20, auxquels participait jusqu’alors l’Afrique du Sud.

  • Le président américain veut rompre avec la rhétorique méprisante de son prédécesseur Donald Trump et s’inscrit dans la lignée de Barack Obama qui avait organisé un pareil sommet en 2014. En août, les États-Unis avaient publié un document de 16 pages sur leur stratégie vis-à-vis de l’Afrique autour de piliers comme les échanges commerciaux ou la démocratie.
  • L’absence de condamnation politique claire de l’invasion russe et l’implantation croissante de la Chine et de la Russie sur le continent africain ont poussé Washington à renouveler son travail diplomatique auprès des dirigeants africains.
  • Les pays qui n’ont pas été invités au sommet sont ceux dont les autorités sont issues d’un putsch (Burkina Faso, Guinée, Mali, Soudan) et ont été suspendus par l’Union africaine. L’Erythrée, dictature totalitaire, et le Sahara occidental n’y ont pas participé non plus, puisque ces pays n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec les États-Unis. 

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RUSSIE/NEI

La guerre de position se poursuit dans le Donbass et à Kherson

Vendredi 16 décembre, Moscou a visé les infrastructures énergétiques et civiles ukrainiennes avec 74 missiles, principalement de croisière, mais la défense antiaérienne ukrainienne est parvenue à abattre 60 d’entre eux. Le président Volodymyr Zelensky a néanmoins précisé que 15 régions, dont Kiev, connaissent d’importantes coupures de courant et d’eau alors que l’hiver s’est déjà bien installé. Sur le front est, les deux armées s’affrontent toujours depuis les deux rives du Dniepr près de Kherson. Dans la région du Donetsk, Moscou maintient une position offensive autour de Bakhmout et Avdiïvka, épicentre des combats.

  • Lundi 5 et mardi 6 décembre, pour la première fois depuis le début du conflit, Kiev aurait attaqué trois bases aériennes russes à 500/600 km du territoire ukrainien, endommageant au moins deux bombardiers stratégiques à l’aide de drones kamikazes soviétiques Tupolev Tu-141. Si l’Ukraine n’a pas revendiqué les attaques, Moscou la désigne comme responsable. Ces frappes soulignent les failles dans la défense sol-air russe sur son propre territoire.
  • L’armée ukrainienne maintient la pression sur le front de Kherson pour ne pas laisser le temps aux Russes de consolider leur position et réfléchit au moyen de franchir le Dniepr ; selon le gouverneur de Mykolaïv Vitali Kim, Kherson ne sera probablement pas « la tête de pont principale pour franchir le Dniepr ».
  • Mercredi 14 décembre, le Kremlin a affirmé qu’il n’y aurait aucune trêve pour Noël ou le Nouvel An. Plusieurs personnalités ukrainiennes comme le ministre des Affaires étrangères Dmytro Kuleba et le général Andrii Kovalchuk (qui a mené la contre-offensive vers Kherson) ont fait part aux médias de leur crainte d’une nouvelle offensive russe en janvier ou février 2023 depuis la Biélorussie (voir ci-dessous).
Situation opérationnelle à Bakhmout le 18 décembre 2022. Source : WarMapper.

Une potentielle offensive russe en début d’année 2023

Le 16 décembre, dans un échange avec le journal The Economist, les responsables au cœur de l’effort de guerre ukrainien ont affirmé que la Russie préparait une nouvelle grande offensive. Le commandant des forces terrestres ukrainiennes, Oleksandr Syrsky, a indiqué qu’une attaque russe pourrait survenir « en février, au mieux en mars, et au pire à la fin du mois de janvier » dans le Donbass, vers la ville de Dnipro ou même sur la capitale. Il est convaincu que ce dernier scénario est « inévitable ». Cette vision est partagée par le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. Mercredi 7 décembre, il a déclaré  que la Russie cherchait intentionnellement à fixer le conflit afin de « regrouper et de régénérer » ses forces dans le but de lancer une offensive plus importante contre les forces ukrainiennes au printemps 2023. Deux jours plus tard, il avertissait que la guerre de la Russie en Ukraine pourrait, « sans aucun doute », se transformer en une guerre plus large contre l’Alliance et soulignait la menace que le président russe Vladimir Poutine pourrait faire peser sur l’Europe.

  • Les propos du général ukrainien Syrsky insistent sur le fait qu’il ne faut pas négliger l’adversaire qui possède l’avantage de la masse, comme l’illustre le volume des effectifs envoyés sur le théâtre ukrainien après l’annonce de la mobilisation partielle le 21 septembre. Vendredi 9 décembre, le chef du renseignement estonien s’est également montré prudent sur la fin de la guerre en rappelant que malgré les pertes « stupéfiantes » de l’armée russe, ses réserves d’armements restaient importantes. Il a notamment mentionné le fait que la Russie serait en mesure de déployer « 3000 chars supplémentaires » en Ukraine.
  • La vision américaine sur les capacités militaires russes est plus pessimiste. En effet, samedi 4 décembre, la directrice du renseignement national américain, Avril Haines, avait évoqué la vitesse « assez extraordinaire » à laquelle les forces russes engagées en Ukraine consommaient leurs munitions. Elle a ajouté que l’industrie de défense n’était pas en mesure de produire aussi rapidement et qu’une pénurie de munitions pourrait donc être « imminente ». Selon la numéro un de la Defense Intelligence Agency, le rythme de la guerre en Ukraine semble ralentir avec l’arrivée de l’hiver. Si une possible reprise des combats au printemps est envisagée, la communauté du renseignement américaine reste toutefois « sceptique » sur le niveau de préparation des forces russes.

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AFRIQUE

Départ des soldats français de Centrafrique 

Jeudi 15 décembre, quarante-sept soldats français – rattachés à la mission logistique de Bangui (Mislog-B) – ont quitté la Centrafrique, marquant ainsi la fin du retrait progressif français opéré ces dernières semaines. Selon le communiqué de presse de l’État-major des armées, « le camp de M’Poko a été rétrocédé en bon ordre aux autorités centrafricaines le 13 décembre ». 

  • Depuis l’annonce de la rupture du partenariat militaire entre la France et la Centrafrique lors de l’été 2021, Paris a accusé à plusieurs reprises le pays de mener une propagande anti-française, sous influence russe, et a dénoncé la présence et les exactions du groupe paramilitaire russe Wagner. cEn proie à une guerre civile entre les milice de la Seleka d’obédience musulmane et les groupes armés anti-balaka majoritairement chrétiens et animistes depuis 2013, la Centrafrique est au cœur des préoccupations internationales via la mission des Nations unies en République centrafricaine (MINUSCA) et la mission de formation de l’Union Européenne (EUTM). La France a également apporté son soutien avec l’envoi de 130 militaires (Mislog-B), afin de fournir une aide logistique aux opérations européennes et aux Casques bleus, ainsi qu’un soutien à la population. 
  • Vendredi 12 décembre, Moscou a accusé la France d’une attaque contre un représentant russe au centre culturel russe de Bangui – l’attaque aurait été réalisée via un colis piégé avec l’inscription « de la part de tous les Français, les Russes ficheront le camp d’Afrique ». Dans ce contexte d’exacerbation des tensions franco-russes, le fondateur de Wagner Evguéni Prigojine souhaite que Moscou considère la France comme « État soutien du terrorisme ». 

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ASIE

Le Japon révise sa doctrine de défense 

Vendredi 16 décembre, le gouvernement japonais a adopté une importante révision de sa politique de défense afin de se donner les moyens contre le « défi stratégique inédit et sans précédent » que représente la Chine. Dans la continuité des évolutions menées depuis plusieurs années sur le plan militaire, cette nouvelle « stratégie de sécurité nationale » dévoilée par le premier ministre prévoit d’accorder 300 milliards d’euros supplémentaires pour moderniser l’armée nippone et ainsi doubler le budget de défense japonais de 1 % à 2 % du PIB d’ici 2027. Le pays prévoit également d’unifier son commandement militaire et de se doter d’une capacité de contre-attaque en augmentant la portée de ses missiles. 

  • Cette doctrine de défense semble rompre avec les principes de la Constitution pacifiste de 1947. En effet la Constitution du Japon, d’inspiration américaine, lui interdit de se doter d’une armée et de capacités d’attaque. Le premier ministre japonais Fumio Kishida a toutefois annoncé que la doctrine japonaise continuerait de “s’inscrire dans le cadre de la Constitution, du droit international et du droit japonais”.
  • Le pays agit en réaction aux comportements belliqueux de ses adversaires régionaux. La Corée du Nord a intensifié ses frappes de missiles en direction du Japon ces derniers mois, tandis que la Chine cherche à renforcer sa mainmise sur la mer de Chine méridionale au détriment du droit international. Au moment de l’annonce de cette nouvelle doctrine de défense du Japon, Pékin a déployé son plus gros groupe aéronaval à proximité des eaux japonaises. 

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AFRIQUE DU NORD/MO

Syrie: Le Président Turc Erdogan appelle à la création d’un corridor de sécurité

Le 11 décembre, le président turc Recep Tayyip Erdogan a eu une conversation téléphonique avec son homologue russe, le président Vladimir Poutine, au cours de laquelle, selon son bureau, il a demandé la mise en place d’un corridor de sécurité de 30 kilomètres à la frontière turque avec la Syrie. Les deux dirigeants ont également discuté dimanche 11 décembre de l’approvisionnement en céréales et d’une éventuelle plateforme gazière régionale en Turquie. Dans un communiqué, le bureau d’Erdogan a réitéré « l’importance et l’urgence » de créer une zone tampon dans le nord de la Syrie, conformément à un accord conclu en 2019 entre la Turquie et la Russie, qui est le principal soutien du président syrien Bachar el-Assad.

  • Cet appel est intervenu trois semaines après que la Turquie a lancé des frappes aériennes et d’artillerie en Syrie et en Irak à la suite d’une explosion à Istanbul le 13 novembre qui a tué six personnes et en a blessé des dizaines d’autres. Ankara a accusé le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et son affilié syrien, les Unités de protection du peuple, ou YPG. Les deux groupes, considérés comme des « terroristes » par la Turquie, ont nié toute implication.
  • Dans le cadre de l’accord de 2019 signé avec la Turquie, la Russie a promis d’établir une zone tampon entre la frontière turque et les forces des YPG, qui serait contrôlée par l’armée syrienne et la police militaire russe. L’accord n’a pas été pleinement mis en œuvre bien que les forces gouvernementales russes et syriennes soient présentes dans la région frontalière, ainsi que certaines troupes américaines.

 

Veille réalisée par Raphaëlle, Simon, Elias, Pauline, Camille, Léana, Baptiste et Rose.

Comité de rédaction

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