A l’occasion de sa conférence inaugurale le lundi 27 septembre 2021, SPDS a eu l’honneur de recevoir Madame la ministre des Armées, pour une conférence exclusive sur l’Europe de la Défense.
Diplômée de Sciences Po Paris et de l’ENA au sein de la promotion Fernand Braudel (1985-1987), Florence Parly a exercé de nombreux postes à haute responsabilité au sommet de l’État. Nommée ministre des Armées en 2017 sous la présidence d’Emmanuel Macron, elle est aujourd’hui chargée de la préparation et de la mise en œuvre de la politique de défense française.
Dans un contexte géopolitique en constante évolution, l’Europe de la Défense n’a de cesse d’être convoquée dans les débats contemporains relatifs aux questions de sécurité et de défense.
SPDS vous propose un compte-rendu succinct de cette conférence passionnante.
I. Pourquoi une Europe de la Défense ?
1. Les États européens sont confrontés aux mêmes menaces, à commencer par le terrorisme. En effet, la menace terroriste ne connaît pas de frontières, et elle s’attaque directement aux sociétés libérales. Après les attentats de janvier 2015, la France a ainsi formulé une demande d’aide et d’assistance auprès des États membres en activant l’article 42-7 du traité sur l’Union Européenne (TUE) sur la politique étrangère et la sécurité commune européenne, qui prévoit notamment une clause de solidarité et de défense mutuelle.
2. On constate aujourd’hui un phénomène d’intensification de la compétition stratégique entre les États. Cette compétition existe aux niveaux politiques, économiques, scientifiques et sous une variété de formes, telles que des tactiques d’intimidation ou le recours à la force, souvent via les nouveaux espaces de conflictualité que constituent l’espace et le cyberespace.
3. Deux conséquences découlent de ce phénomène :
– Les grands équilibres internationaux ont basculé de l’ouest à l’est, et l’inquiétude des Etats-Unis en lien avec la montée en puissance de la Chine constitue le signe le plus évident de ce changement. Si la France veut compter dans le monde de demain, elle doit alors agir à l’échelle de l’Europe.
-Face à ce retour des rapports de force impliquant nécessairement une course technologique, le besoin d’une industrie de défense souveraine s’impose. Dans cette perspective, l’Europe représente une potentialité d’investissements et d’innovation considérable. Depuis 2017, sous l’impulsion d’Emmanuel Macron, l’Europe s’est éveillée à cette notion de souveraineté, jusqu’à présent peu présente dans les esprits. En effet, les États européens ont pris conscience de la nécessité de se défendre par eux-mêmes et de la valeur de leur indépendance stratégique. Sans pour autant remettre en cause le rôle de l’OTAN, seule une Europe de la Défense souveraine permettra à la France de conserver sa liberté d’action.
4. Avant 2017, la défense européenne a fait plusieurs fois les frais de rendez-vous manqués, à l’image du rejet de la Communauté européenne de défense en 1954, ou encore le sommet de Saint Malo en 1998 où les États européens ont reconnu leur impuissance dans la guerre du Kosovo. Néanmoins, ces évènements ont permis de poser les premières bases d’une politique de défense et de sécurité extérieure européenne. En 2017, l’élection d’Emmanuel Macron a marqué un tournant dans l’approche française des enjeux liés à une Europe de la Défense. “L’Europe des paroles” laisse alors place à “l’Europe des actes”, la France fixant des objectifs concrets et réalistes, dans une dynamique de passage de la théorie à la pratique.
II. Les succès de l’Europe de la Défense
1. L’argent constitue le nerf de la guerre. De fait, c’est la création du Fond Européen de Défense (FED) qui permet aujourd’hui à l’Union Européenne de financer la recherche et le développement pour des projets capacitaires structurants. Entre 2021 et 2027, ces projets représentent 8 milliards d’investissement mobilisés par le FED. Jamais les institutions européennes ne s’étaient autant engagées dans le domaine de la défense alors que les États coopèrent sur des projets majeurs, comme le prouve le Système de combat aérien du futur (SCAF) qui rassemble la France, l’Allemagne et l’Espagne. L’Europe de la Défense est ainsi avant tout constituée par des États membres qui souhaitent agir ensemble et qui en ont la capacité. Cette approche permet à la France d’agir vite avec un noyau restreint de partenaires, dans une perspective d’inclusion progressive d’autres participants.
2. L’initiative européenne d’intervention (IEI), lancée en 2018 consiste en des rencontres régulières entre les États membres associés à d’autres États européens, y compris le Royaume-Uni, dans le but de partager différentes analyses des menaces et réfléchir à des scénarios concrets.
3. Enfin, des progrès considérables ont été réalisés en matière d’engagements opérationnels entre États européens. La France a notamment su impulser des initiatives inédites, à l’image de l’opération Agenor assurant la surveillance maritime dans le Golfe arabo-persique, ou encore la Task Force Takuba, qui mobilise 600 militaires européens déployés en soutien des forces armées maliennes dans la lutte contre les groupes armés terroristes (GAT) dans la bande sahélo-saharienne. Ces initiatives constituent un laboratoire de l’Europe de la Défense et montrent qu’il existe une Europe capable d’agir et de coordonner des opérations militaires complexes.
L’Europe de la Défense doit ainsi garantir à la France une capacité de projection efficace afin d’être en mesure de protéger les intérêts européens, malgré l’éloignement géographique de certaines de ces zones d’intérêt, à l’image du Sahel, de la région indo-pacifique, la Mer de Chine, ou encore l’espace.
III. Les défis
1. Les Etats-Unis agissent désormais en cavalier seul sur la scène internationale, s’affranchissant de toute consultation multilatérale alliée. Le retrait d’Afghanistan, le désengagement progressif au Levant ainsi qu’en mer Méditerranée sont symptomatiques d’une nouvelle obsession pour la menace chinoise qui l’emporte sur toute autre considération géostratégique. Cette tendance est confirmée par la récente crise des sous-marins, qui a vu Washington adopter un comportement brutal à l’égard de la France, malgré son statut de « plus ancienne alliée » des Etats-Unis. De tels comportements affaiblissent la France en tant qu’alliée sur la scène internationale.
2. La perception de la puissance américaine à travers le monde a changé. Nombreux sont les États qui s’interrogent aujourd’hui sur la garantie de sécurité donnée par les Etats-Unis, dont les choix font plus régulièrement l’objet de critiques, y compris de la part des alliés de Washington, supposant une transformation des rapports de force facteur d’incertitude.
3.La sécurité des Européens relève avant tout d’eux-mêmes, et dans les conditions actuelles, des progrès importants doivent encore être réalisés. Si les États européens ont pu évacuer leurs ressortissants de Kaboul lors de la prise de pouvoir par les Talibans en Afghanistan, Washington a largement contribué à ces évacuations tandis que l’Union Européenne a été globalement absente de cette crise.
IV. Les efforts
1. Selon les propos de Madame la Ministre, l’Europe “fait face, ou s’efface”. La situation actuelle constitue pour l’Europe une opportunité unique de s’affirmer comme une véritable puissance sur la scène internationale. Néanmoins, cette affirmation se fera à condition de ne pas se laisser envahir par le syndrome de l’imposteur qui insinue le doute à l’égard de sa propre légitimité. Cette montée en puissance est par ailleurs nécessaire pour assurer une certaine indépendance. L’escalade militaire n’est pas une fatalité et l’Europe doit se positionner en tant que promotrice du dialogue, de la médiation, plutôt que la confrontation, position rappelée récemment par la France. L’Europe a besoin de plus de dialogue, d’analyse partagée, d’une culture stratégique commune, qui constitue le premier pas vers l’action concrète. Il est pour cela nécessaire de prendre en considération d’une part ce qui rapproche les États européens, sans oublier d’autre part les divergences existantes.
2. Grande priorité de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne, une boussole stratégique sera introduite par le Livre blanc européen, document à paraitre voulu comme véritable élément fondateur de l’Europe de la Défense. Il présentera une analyse des menaces mais aussi un socle d’ ambitions communes. Cette feuille de route fixera les lignes directrices du travail entre les États européens jusqu’en 2030, dans tous les domaines de la défense, tels que la mise en commun des capacités militaires en passant par une coopération accrue dans le secteur du renseignement.