Conseillers à la sécurité nationale, la valse à quatre temps

Par Gaspard Béquet

Le 10 septembre dernier, le président américain Donald Trump s’est séparé de son conseiller à la sécurité nationale John Bolton. Son successeur, Robert O’Brien, est déjà le quatrième de l’ère Trump à occuper ce poste décisif dans l’orientation des politiques étrangère et de défense américaines.

« You’re fired ! » a résonné une nouvelle fois dans les couloirs de la Maison Blanche. John Bolton, 70 ans, conseiller à la sécurité nationale, a été remercié par la présidence américaine après un an et cinq mois d’exercice. Il s’agit d’un record de longévité. Les conseillers à la sécurité nationale se sont en effet succédés à une allure frénétique sous la présidence Donald Trump. Jamais un président américain n’avait désigné quatre conseillers différents en un mandat. Or, ce chiffre vient d’être atteint en à peine deux ans et huit mois ! Après Michael Flynn – démissionnaire au bout de vingt-quatre jours à la suite d’une faute grave – et Herbert R. McMaster – renvoyé après un an et un mois pour désaccord avec la ligne présidentielle -, John Bolton est donc le troisième fusible à sauter. Mais comment expliquer ce renvoi ?

Les limites imprécises d’une fonction

Le poste de conseiller à la sécurité nationale se caractérise d’abord par un flou structurel. Fonction créée à l’arrivée au pouvoir du président Eisenhower en 1953, le conseiller à la sécurité nationale dirige l’administration du Conseil à la sécurité nationale où siègent avec lui le président, le secrétaire d’Etat et le secrétaire à la Défense. Il est désigné par le président et sa nomination ne requiert pas de confirmation par le Congrès. Le champ de ses prérogatives est très variable, le terme de sécurité étant entendu de façon large. La sécurité nationale peut, du point de vue américain, recouvrir toute question internationale considérée comme menace potentielle pour l’intégrité territoriale du pays.  Ainsi, au fil des années et selon leurs tempéraments, les conseillers à la sécurité nationale ont pu exercer une influence majeure sur l’orientation de la politique étrangère. Dans certains cas, ils ont tout simplement pris le pas sur le Foggy Bottom – le département d’Etat américain.

L’exemple le plus marquant en la matière est celui d’Henry Kissinger, conseiller omnipotent sous les présidences Nixon et Ford, qui cumula même cette fonction avec le secrétariat d’Etat entre 1973 et 1975 après avoir poussé à la démission le laissé-pour-compte William Rogers. Même si un tel schéma ne s’est jamais réédité, il illustre bien les possibles contentieux de compétence des trois postes stratégiques de l’action américaine à l’étranger. L’imprécision des limites de la fonction si caractéristique du gouvernement américain qu’est le conseiller à la sécurité nationale favorise de fait le conflit avec les départements d’Etat et de la Défense. Dans le cas de John Bolton, la relation avec le secrétaire d’Etat Mike Pompeo s’est avérée conflictuelle sur de nombreux sujets de politique étrangère.

Un nouveau courant républicain en matière de politique étrangère

Ce renvoi illustre également le renouveau idéologique républicain en matière de relations internationales. Vétéran de l’administration George W. Bush dans laquelle il avait occupé le poste d’ambassadeur aux Nations-Unies d’août 2005 à décembre 2006, John Bolton ne s’est jamais départi de sa philosophie interventionniste. Il fait partie de ces influents membres de l’administration américaine partisans de l’usage de la force en politique étrangère que l’on a pris l’habitude de surnommer les « faucons ». Cette doctrine peut être résumée par la fameuse phrase du président George W. Bush : « Soit vous êtes avec nous soit vous êtes contre nous ! » (Hanhimaki, 2006). A ce titre, l’ancien conseiller à la sécurité nationale n’a jamais cessé de soutenir l’invasion de l’Irak de 2003 (contrairement à Donald Trump), de refuser de traiter avec la Corée du Nord sans renoncement préalable de cette dernière à l’arme atomique et de soutenir une intervention militaire au Venezuela. Sans évoquer le cas de l’Iran, dont John Bolton souhaitait arrêter le programme nucléaire par des bombardements sur les sites d’enrichissement d’uranium.

 

L’imprécision des limites de la fonction si caractéristique du gouvernement américain qu’est le conseiller à la sécurité nationale favorise de fait le conflit avec les département d’Etat et de la Défense

Ces prises de position l’ont conduit à s’opposer à Mike Pompeo, alors même que ce dernier avait lui aussi débarqué dans l’administration avec l’étiquette de faucon en avril 2018. Mais le secrétaire d’Etat a progressivement épousé le nouveau courant républicain en matière de politique étrangère. Souhaitant tirer les conclusions des débâcles irakienne et afghane, cette doctrine est partisane des négociations avec l’ennemi. Les pourparlers entre les Etats-Unis et la Corée du Nord sont un récent exemple de son application. Modérant nombre de ses positions initiales, Mike Pompeo s’est ainsi clairement distingué de John Bolton.

Robert Malley, président de l’International Crisis Group, résume leur cohabitation : « Depuis le début, deux voix murmuraient à l’oreille de Donald Trump : celle recommandant la diplomatie et mettant en garde contre le conflit, et celle poussant à la belligérance et mettant en garde contre le risque d’apparaître faible ». Le président, ultime décisionnaire de la politique étrangère de son administration, a donc suivi la première de ces voix, désormais majoritaire au sein du parti républicain. Ses réticences envers les méthodes de John Bolton lui avaient d’ailleurs fait regretter son choix de limoger son prédécesseur McMaster. D’après NBC News, Donald Trump s’était entretenu avec lui par téléphone seulement six mois après son éviction afin de lui demander conseil.

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John Bolton renvoyé, c’est Robert O’Brien qui prend place sur le siège éjectable de conseiller à la sécurité. Ce dernier occupait depuis 2018 la fonction d’envoyé présidentiel spécial à la libération des otages avec rang d’ambassadeur. Proche de son prédécesseur et ancien membre de l’administration Bush, il n’offre pourtant pas un profil aussi clivant que John Bolton. En effet, ses idées sont bien plus proches de la ligne des départements d’Etat et à la Défense avec lesquels il entretenait d’étroites relations en tant qu’envoyé présidentiel spécial. Si les dossiers iranien ou coréen l’attendent, son principal défi sera sûrement de se maintenir dans ses nouvelles fonctions jusqu’à la fin du mandat de Donald Trump.

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