Veille stratégique – Octobre 2022 1/2

FRANCE

Projet de loi de finances 2023 : le ministre des Armées précise sa stratégie

Mardi 5 octobre, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a été auditionné par la commission de la défense nationale et des forces armées de l’Assemblée Nationale sur le projet de loi de finances pour 2023 (PLF 2023), “année charnière et de préparation de l’avenir” . Cette audition s’est déroulée en présence du  chef d’Etat-Major des armées Thierry Burkhard, des différents chefs d’Etat-Major des armées (l’Amiral Pierre Vandier, le Général d’armée Pierre Schill, le Général d’armée aérienne Stéphane Mille), du nouveau secrétaire général des armées Christophe Mauriet, de la directrice générale des relations internationales et de la stratégie Alice Guitton, et du délégué général pour l’armement Emmanuel Chiva. Ce rendez-vous annuel est l’occasion pour le ministre d’évoquer les différents axes d’efforts financiers et les projets de son ministère ainsi que de répondre aux questions des députés. Le budget des armées devrait s’élever à 43,9 milliards d’euros en crédits de paiement pour l’année 2023. 

  • M. Lecornu a donc indiqué deux champs prioritaires : le cyber et le spatial. Des efforts se matérialiseront concernant la dotation des armées en munitions avec un budget de 2 milliards pour 2023 et le retard des infrastructures de défense. Le ministre a également annoncé de nouvelles livraisons d’équipements (fusils HK416, véhicules Scorpion, 13 rafales neufs, etc.) ainsi que le recrutement de nombreux effectifs dans les unités opérationnelles ou de personnels spécialisés dans le renseignement et le cyber. De plus, le ministre des armées a indiqué une hausse des crédits destinés à la rémunération des militaires, de leurs conditions de travail et de vie (Plan Famille et nouvelle politique de rémunération des militaires). En outre, le format des réserves, les coopérations industrielles européennes, la transition écologique et énergétique ont été discutés.
  • Le PLF 2023 s’inscrit dans le cadre plus large de la LPM 2019-2025 qui ambitionne une montée en puissance des crédits alloués au ministère des Armées. Pour la première fois, le budget augmente de 3 milliards par rapport à l’année précédente. Le contexte inflationniste vient cependant nuancer l’importance de cette “première marche à 3 milliards” décrite par le ministre. L’effort d’investissement dans les armées sera reconduit dans la prochaine loi de programmation militaire (LPM), en cours d’élaboration, en essayant de l’articuler de manière cohérente avec la récente LOPMI.
  • Cette intervention a eu lieu alors que le ministre a effectué des livraisons supplémentaires d’armement à l’Ukraine (canons Caesars et véhicules blindés Bastion d’Arquus) et a commencé à mettre en œuvre  la simplification annoncée des procédures pour l’attribution de décorations aux militaires blessés.

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EUROPE

Fuite des gazoducs Nord Stream : importance des fonds marins et sécurité énergétique

Mercredi 26 septembre, quatre explosions sont survenues sur les gazoducs Nord Stream 1 et 2 en Mer Baltique, dans les zones exclusives du Danemark et de la Suède. Aucune des deux installations ne transportait de gaz vers l’Europe car la Russie avait coupé les flux de gaz par le premier et le second a été abandonné avant sa mise en service. Une enquête a été ouverte et les autorités suédoises ont indiqué que les premières constatations sur le terrain avaient « renforcé les soupçons de sabotage aggravé ». Pour le moment, aucun suspect n’a officiellement été désigné bien que le gérant des gazoducs, le consortium Nord Stream AG – dont le principal actionnaire est la société russe Gazprom – soit tenu à distance de la procédure d’enquête. A la demande de la Russie, un conseil de sécurité des Nations Unies s’est réuni vendredi 30 septembre pour évoquer cet incident. A cette occasion, l’ambassadeur russe a déclaré que les Etats-Unis avaient tout à gagner de la destruction des gazoducs, accusation que Washington a démentie. Les dirigeants polonais et ukrainiens ont quant à eux rejeté la faute sur le Kremlin.

  • La suspicion de sabotage replace au cœur des discussions la guerre des fonds marins. Le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a promis une « réponse robuste et unie » à toute attaque contre les infrastructures énergétiques de l’Union. En parallèle, le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan et le Secrétaire général de l’OTAN Jens Stoltenberg ont échangé sur la protection des infrastructures critiques. Par la suite, la Norvège, premier fournisseur de gaz des pays européens depuis le début de l’invasion en Ukraine, a décidé de renforcer la surveillance de son réseau de gazoducs sous-marins de près de 9000 km. Le pays a d’ailleurs accepté les contributions de certains pays alliés, notamment l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni, pour renforcer la présence militaire dans les eaux norvégiennes.
  • Dans le même temps, une potentielle attaque des infrastructures critiques européennes a créé une pression supplémentaire sur les prix du gaz, déjà en augmentation depuis le mois de février. L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a signalé que l’Europe n’était pas à l’abri d’une éventuelle coupure totale de gaz russe, ce qui pourrait influer sur les niveaux des stocks, malgré la mise en place d’une stratégie de diversification. Face à la division des membres de l’Union européenne sur un plafonnement des prix du gaz, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a annoncé devant le Parlement européen que l’UE devrait mettre en place un plafond temporaire des prix du gaz jusqu’à l’instauration d’un nouvel indice.

Image d’unité à la première réunion de la Communauté politique européenne

Les 6 et 7 octobre, les 44 pays membres de la Communauté politique européenne (CPE) se sont réunis pour la première fois à Prague, en République-tchèque, pour évoquer les défis auxquels sont confrontés l’Europe, en particulier la « Paix et la sécurité » et l’ « énergie, le climat, et la situation économique ». Les sept domaines de coopérations identifiés sont : (1) la protection des infrastructures essentielles (câbles, gazoducs, satellites), (2) la lutte comme la cybercriminalité, (3) la lutte contre les puissances hostiles dans quatre régions vulnérables (mer du Nord, mer noire, mer baltique, Caucase), (4) un soutien accru à l’Ukraine, (5) une stratégie énergétique intégrée, (6) les migrations, (7) une politique commune pour la jeunesse. Cette rencontre a aussi permis de débuter une médiation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan avec le déploiement d’une mission européenne au cours du mois d’octobre pour aider à la délimitation des frontières entre les deux pays. Les dirigeants européens ont affiché un front uni contre la guerre de la Russie en Ukraine, sujet qui a dominé l’ordre du jour avec la présence virtuelle du président Zelensky. A l’issue de ce sommet inaugural, les chefs d’Etats et de gouvernements ont insisté sur la solidarité avec l’Ukraine et l’isolation de la Russie et de la Biélorussie. Le président Emmanuel Macron a d’ailleurs annoncé que plusieurs membres de l’UE, dont la France, travaillent sur un nouvel envoi d’équipements militaires.

  • Malgré l’apparente harmonie, les divergences entre les États membres sur les sanctions à l’encontre de la Russie et sur les mesures à adopter pour réduire l’impact de la crise énergétique ont révélé de profondes fissures dans l’unité européenne. Par ailleurs, des rivalités bilatérales ont ressurgi entre le président turc Recep Tayyip Erdoğan et le Premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis. Les deux dirigeants se sont mutuellement provoqués durant leurs conférences de presse, le président Erdogan ayant déclaré “la politique grecque est fondée sur des mensonges. Tout est mensonge”, soulignant le gouffre qui subsiste entre les deux Alliés de l’OTAN. Finalement, l’utilité d’un énième sommet de haut niveau traitant de questions sécuritaires et politiques continue de faire débat, tout comme le succès d’une communauté élargie de dirigeants européens.
  • Le projet de création de la CPE, initié sous la présidence française, avait été approuvé au conseil européen des 23 et 24 juin derniers par les Etats membres. Certains pays candidats, dont l’Ukraine, avaient émis des craintes de voir la CPE devenir une alternative à l’UE en permettant une certaine forme d’intégration européenne. Toutefois, l’objectif principal annoncé de ce forum est la complémentarité avec l’UE afin d’assurer une coopération renforcée dans divers domaines, entre tous les pays du continent.
  • Le prochain rendez-vous est fixé au printemps 2023 en Moldavie pour assurer une alternance entre Etats membres et non membres de l’Union européenne. En effet, ce forum regroupe les 27 Etats membres de l’UE ainsi que des pays détenteurs du statut de candidat, mais également des Etats membres de l’Espace économique européen et d’autres pays du continent. Cette volonté d’inclusivité au-delà de l’UE est notamment illustrée par la présence de la Norvège, du Royaume-Uni et de la Suisse qui ne veulent pas en faire partie.

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AMÉRIQUES

“Guacamaya Leaks” : près de 6 téraoctets de documents confidentiels du Secrétariat à la Défense nationale du Mexique rendus publics suite à une cyberattaque

Après des révélations du site LatinUs, le président mexicain Andrés Manuel López Obrador (AMLO) a confirmé lors d’une conférence de presse vendredi 30 septembre la fuite de près de 6 téraoctets de documents confidentiels. Ces derniers comprennent notamment l’ensemble des communications électroniques privées du Secrétariat à la Défense Nationale (équivalent mexicain du ministère des Armées) depuis janvier 2016, suite à une attaque menée par le groupe de cyberactivistes Guacamaya. Les documents transmis à la presse seraient, selon les journalistes ayant pu les consulter, extrêmement sensibles : parmi les informations extraites se trouveraient  un descriptif approfondi de l’ensemble des opérations militaires anti-cartels menées sur le territoire mexicain, des preuves d’une mise sous surveillance par l’armée d’un large nombre de médias et de personnalités publiques, des bilans très détaillés sur la santé et les déplacements du chef de l’Etat ou encore plusieurs fiches documentant la corruption d’élus et de membres de l’administration. En réaction, le président López Obrador a confirmé les révélations portant sur son état de santé, et a déclaré que la fuite n’inquiétait pas outre mesure son gouvernement dans la mesure où celui-ci “ne cache pas d’informations”.

  • Guacamaya a résumé les raisons de son action dans un communiqué : “Nous dévoilons les secrets des systèmes militaires et policiers du Mexique, du Pérou, du Salvador, du Chili, de la Colombie et les remettons à ceux qui peuvent légitimement les mettre en lumière”. Le groupe a également attaqué plusieurs grandes sociétés minières opérant dans la région et a accusé les forces de sécurité d’être “la garantie de la domination de l’impérialisme américain” et de “la présence extractiviste du Nord mondial” en Amérique Latine. “Notre Pachamama, la mère dont nous sommes issus, a été polluée, épuisée, extraite, pillée et, en bref, violée”.
  • Guacamaya s’était déjà infiltré en début d’année dans les serveurs des forces armées de plusieurs pays d’Amérique Latine par le biais d’une faille de sécurité du service Exchange de Microsoft. La firme américaine avait alors demandé aux utilisateurs d’appliquer une mise à jour afin d’éviter toute intrusion, correctif qui a mis près de onze mois avant d’être effectivement appliqué par les différents pays. Dans le cas du Mexique, les documents sont également issus de l’exploitation d’une faille du logiciel Zimbra, utilisé par les forces armées mexicaines.
  • La santé du président a constitué l’un des éléments majeurs de l’actualité de ces derniers jours au Mexique, dans la mesure où plusieurs documents issus de la fuite prouvent qu’AMLO a dû subir dans le plus grand secret un cathétérisme d’urgence le 21 janvier dernier en raison de problèmes cardiaques.

Canada : Saab met en cause la transparence de la sélection du nouvel appareil de l’Aviation royale

Après avoir promis, avant son élection en 2015, de renoncer à l’achat de 65 avions F-35A afin de placer le budget y étant dédié dans le développement des capacités navales canadiennes, Justin Trudeau avait finalement lancé en 2019 un appel d’offre pour organiser le remplacement des CF-18 Hornet de l’Aviation royale canadienne. Cinq appareils avaient été présentés, et parmi eux, deux finalistes : le F-35A de Lockheed-Martin et le JAS-39 Gripen E/F du groupe suédois Saab. Alors que la phase de sélection est toujours en cours, le dirigeant de la branche canadienne de Saab Simon Carroll a dénoncé lors d’une audition parlementaire le 29 septembre des discussions externes au processus de sélection entre le gouvernement et son concurrent.

  • Si Justin Trudeau avait bien assuré que l’appel d’offre se déroulerait en toute transparence, Simon Carroll met en avant des manquements à l’équité de la part du gouvernement dans la manière de traiter les deux concurrents, soulignant notamment les discussions entre Ottawa et Lockheed-Martin qui porteraient sur des éléments déjà présents dans les documents soumis dans le cadre de l’appel d’offre. Si ces faits sont avérés, cela pourrait s’apparenter à un traitement de faveur.
  • Le cas échéant, Saab, qui pour le moment botte en touche sur l’éventualité d’un recours à la justice, pourrait saisir le Tribunal Canadien du commerce extérieur. Si le gouvernement assure suivre à la lettre les règles du processus de sélection, le gagnant qui devrait être annoncé au début de l’année prochaine ne fait plus réellement de doute.

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RUSSIE/NEI

Annexion par Moscou de quatre régions ukrainiennes et de la centrale de Zaporijia

Après avoir reconnu le résultat des référendums d’annexion par décret et s’être exprimé à la télévision russe, le président Vladimir Poutine a signé mercredi 5 octobre la loi d’annexion stipulant que les régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia sont à présent intégrées « au sein de la Fédération de Russie en conformité avec la Constitution de la Fédération de Russie ». Si sur le terrain cette loi ne change pas la situation, elle permet à la Russie de nommer et reconnaître officiellement les dirigeants déjà mis en place dans ces régions.

A cette occasion, la Russie s’est également appropriée par décret la centrale nucléaire de Zaporijia qu’elle occupe militairement depuis plusieurs mois. En réaction à cette annonce, le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a annoncé se rendre en Ukraine afin de discuter de l’instauration d’une zone de protection autour des installations.

  • Du 23 au 27 septembre se sont tenus des référendums d’annexion de quatre oblasts ukrainiens. Les habitants des Républiques populaires de Donetsk et de Lougansk, qui ont fait sécession en 2014 et dont l’indépendance avait déjà été reconnue par Moscou au mois de février, ont répondu « oui » à plus de 95% à la question “Souhaitez-vous intégrer la Fédération de Russie ?” selon l’agence de presse russe Tass. Les habitants des régions de Kherson et de Zaporijia, régions nouvellement conquises par Moscou, ont dû se prononcer sur trois questions : “Êtes-vous pour la sortie de l’État ukrainien, la création d’un État indépendant et l’intégration à la Fédération de Russie ?” et auraient également majoritairement choisi le « oui » d’après les autorités russes. En réaction, Volodymyr Zelensky a rappelé que l’Ukraine « agira pour défendre son peuple » dans les régions occupées.
  • De nombreux pays occidentaux ont dénoncé la tenue de ces référendums, parmi lesquels les Etats-Unis qui ont qualifié la manœuvre de Moscou « d’annexion illégale » ou la France dont le président Emmanuel Macron a parlé de “parodie” de démocratie. D’autres pays proches de Moscou, tels que la Serbie ou le Kazakhstan avaient également fait part de leur intention de ne pas reconnaître le résultat des référendums dès l’annonce de leur tenue, leur opposant le principe d’intégrité territoriale.Lors du Conseil de Sécurité des Nations Unis du mardi 27 septembre, Washington a fait part de son souhait de condamner l’annexion en Ukraine par une résolution. Cette résolution a été approuvée par dix membres du Conseil de sécurité, mais la Russie y a opposé son véto et quatre membres se sont abstenus (Chine, Inde, Brésil et Gabon). L’Assemblée générale des Nations unies devra se prononcer sur cette résolution dans les prochains jours.
  • En réaction à la manœuvre de Moscou, l’UE a décidé la mise en place de nouvelles mesures de sanctions économiques contre la Russie. L’UE veut notamment instaurer un plafonnement des prix du pétrole russe à destination des pays tiers, mettre en place des restrictions au transport maritime de pétrole russe ainsi que l’interdiction pour les ressortissants européens d’occuper un poste de direction dans certaines entreprises d’Etat russes. Néanmoins, tous les Etats membres de l’UE ne parviennent pas à s’accorder sur une position unie : le premier ministre hongrois Viktor Orbán a annoncé l’organisation d’une consultation de sa population sur la possible levée des sanctions d’ici la fin de l’année 2022, la Hongrie étant très dépendante des hydrocarbures russes.

L’Ukraine continue dans sa percée sur les fronts est et sud

Mercredi 5 octobre, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé que l’armée ukrainienne avait réalisé une percée dans le nord de la région de Kherson (sud de l’Ukraine) et récupéré la quasi-totalité de la région de Kharkiv (front est). Selon lui, la voie vers l’oblast de Louhansk est ouverte depuis la reprise de Lyman le dimanche 2 octobre, et grâce à l’avancée du front vers la ville de Kreminna, dernier rempart stratégique devant l’ensemble industriel composé des villes de Roubijné, Sievierodonetsk et Lyssytchansk. Sur le front de Kherson, l’armée russe se serait repliée dimanche 2 octobre autour du village de Doudtchany, sur la rive droite du fleuve Dniepr. L’unique portion où l’armée russe maintient une position offensive est à Bakhmout dans le Donetsk, sans pour autant réaliser d’avancées significatives.

Puis, samedi 8 octobre, une partie du pont construit par Moscou pour relier la Crimée et la Russie, symbole de l’annexion de la péninsule en 2014 et utilisé pour le ravitaillement des troupes russes situées dans le sud de l’Ukraine, s’est effondrée. Selon les autorités russes, cet incident aurait été provoqué par l’explosion d’un « camion piégé » causant la mort d’au moins trois personnes. Sans revendiquer l’attaque, les responsables politiques ukrainiens ont ironisé sur l’incident, ce qui a fortement déplu à Moscou. Selon les médias russes, le dimanche 9 octobre, lors d’une réunion avec le chef du Comité d’enquête russe, Vladimir Poutine aurait déclaré que “les auteurs, les exécutants et les commanditaires sont les services secrets ukrainiens”, qualifiant l’incident “d’acte terroriste”.

  • L’armée ukrainienne a adopté à Lyman une manœuvre d’enveloppement de la ville sur trois axes pour couper les routes de ravitaillement vers la Russie et prendre en étau les soldats russes. Il est également à noter que la police ukrainienne, dirigée par le général Klymenko, a activement participé à l’encerclement et à la reprise de Lyman ainsi que  des villages aux alentours. Si le commandement russe  a officiellement annoncé  un retrait organisé dans cette région « vers des lignes de défense plus avantageuses », plusieurs soldats russes auraient été faits prisonniers.
  • Le commandement russe est de plus en plus critiqué  pour sa gestion opérationnelle du conflit. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov a notamment fustigé le colonel général Alexandre Lapine – qui dirige les opérations dans la région de Donetsk – en le traitant « d’incapable » sur sa chaîne Telegram et dénonce un « népotisme » au sein de l’armée russe, faisant référence également au chef d’état-major le général Valéri Guerassimov et au ministre de la défense Sergueï Choïgou. Le samedi 8 octobre, à la suite de l’explosion du pont de Crimée, le commandant de l’armée russe en Ukraine (Alexandre Dvornikov selon les médias russes) a été remercié et remplacé par le général d’armée Sergueï Sourovikine, vétéran de la deuxième guerre en Tchétchénie et de l’intervention russe en Syrie.
  • Par ailleurs, la « mobilisation partielle » décrétée par le gouvernement russe ne cesse de créer du mécontentement. Vladimir Poutine a lui-même reconnu des « erreurs » le 29 septembre dernier dans la mise en œuvre de la mobilisation, avec la convocation d’étudiants, de pères de familles nombreuses ou encore de personnes âgées ou malades, qui devraient pourtant être exemptés. En outre, les Comités de mères de soldats – organisations créées durant la guerre en Tchétchénie et disposant encore d’une influence relative dans la société russe – renouent avec leur combat pour venir en aide aux familles de soldats ou aux citoyens russes convoqués dans le cadre du conflit en Ukraine.
  • Lors de son allocution du 30 septembre, Vladimir Poutine a répété ses menaces formulées durant son discours du 21 septembre, où il avait affirmé être prêt à utiliser tous les moyens à sa disposition pour défendre ses territoires, les oblasts ukrainiens annexés inclus. Il avait notamment été question de l’arme nucléaire, certainement des « bombes nucléaires de faible puissance », comme le réclame Ramzan Kadyrov. A ce sujet, jeudi 6 octobre, le président étatsunien Joe Biden a alerté la communauté internationale de la « perspective d’une apocalypse » nucléaire.
  • L’armée russe et l’Ukraine continuent de se renvoyer la responsabilité concernant les bombardements de zones civiles. Samedi 1er octobre, un convoi de voitures de civils cherchant à fuir les affrontements dans la zone de Koupiansk a été visé, causant la mort de 24 personnes, dont une femme enceinte et 13 enfants. La veille, vendredi 30 septembre, l’AFP avait rapporté le bombardement d’un convoi similaire de véhicules proche de Zaporijia, faisant 30 morts et au moins 88 blessés. Jeudi 7 puis dimanche 9 octobre, de nouveaux bombardements visant le centre-ville de Zaporijia, et en particulier des quartiers résidentiels, ont causé entre 29 et 34 morts, et environ 70 blessés hospitalisés.

Situation sur l’ensemble du territoire et focus sur les fronts est et sud au 9 octobre 2022, cartes réalisées par War Mapper (@War_Mapper)

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AFRIQUE

Nouveau coup d’État militaire au Burkina Faso

Vendredi 30 septembre, à la suite d’une mutinerie matinale, d’une paralysie routière et d’un black-out télévisé, un putsch a été opéré à Ouagadougou, érigeant ainsi le capitaine Ibrahim Traoré à la tête de junte militaire. Ancien chef du groupe Cobra dédié à la lutte antiterroriste, Ibrahim Traoré remplace donc le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba à la tête de la junte militaire burkinabée dénommée le Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR). À la suite de ce coup d’État, le lieutenant-colonel destitué a énoncé un discours de démission depuis Lomé, au Togo. Simultanément, le gouvernement et l’Assemblée Législative de Transition ont été dissous et les frontières aériennes et terrestres ont été fermées. La Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) a qualifié ce putsch d’un évènement « inopportun au moment où des progrès ont été réalisés pour un retour à l’ordre constitutionnel au plus tard le 1er juillet 2024 ». 

  • Ce second coup d’État succède au putsch du 23 janvier 2022 ayant évincé du pouvoir le président Roch Marc Christian Kaboré – démocratiquement élu – par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Le 26 septembre 2022, un convoi de ravitaillement a pour la seconde fois été attaqué à proximité de Djibo – ville sous contrôle d’Al-Qaïda – entraînant la mort de 11 soldats et la disparition de 50 civils. Depuis 2015, les organisations terroristes ont progressivement conquis 40% du territoire. Les actes violents auraient augmenté de 76% au Burkina Faso, par rapport à 2021, selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project. À l’instar du renversement politico-militaire de janvier 2022, l’incapacité du dirigeant Damiba à endiguer la progression des groupuscules djihadistes a été condamnée par la population et par l’armée burkinabée. Lors de ce nouveau coup d’État, le MPSR a établi comme leitmotiv « la restauration de la sécurité et de l’intégrité de notre territoire ». Pourtant, l’ONG Human Rights Watch a accusé les différentes juntes militaires d’être responsables d’exécutions extrajudiciaires.
  • Le Burkina Faso : un nouveau Mali ? Cette crise institutionnelle a exacerbé les tensions entre Paris et Ouagadougou. Plus précisément, lors des manifestations du 29 et 30 septembre à la capitale burkinabée – exigeant la démission du lieutenant-colonel Sandaogo Damiba – des slogans anti-français ont été scandés et des drapeaux russes ont été brandis. Le revirement de drapeau tricolore s’est confirmé au lendemain du putsch avec l’attaque et le vandalisme de lieux français symboliques tels que l’Ambassade de France, l’Institut français ou encore plusieurs lycées (jets de pierre, incendies, …). Ces évènements confirment ainsi les propos de François Soudan, le sentiment anti-français est perceptible dans « pratiquement toute la zone sahélienne ». 
  • À l’instar des nouveaux évènements maliens, le Burkina Faso tend également à vouloir diversifier ses partenariats et notamment auprès de Moscou. Le capitaine Ibrahim Traoré a notamment déclaré vouloir aller « vers d’autres partenaires prêts à nous aider dans notre lutte contre le terrorisme ». Le « renforcement de la coopération mutuellement bénéfique » avec la Russie avait déjà été officialisé lors d’une rencontre entre Sergueï Lavrov (Ministre russe des Affaires étrangères) et le lieutenant-colonel Sandaogo Damiba. De plus, le groupe paramilitaire Wagner est progressivement en train de s’installer au Burkina Faso et décrit ce nouveau coup d’État d’effondrement de « l’empire néocolonial français ». Cette diffusion russe peut, à long terme, questionner la présence des 350 soldats français de la Task Force Sabre à Ouagadougou. 

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ASIE

Corée du Nord : escalade des tensions suite au tir de plusieurs missiles balistiques au-dessus du Japon.

Pour la première fois depuis 2017, la Corée du Nord à procédé au tir de plusieurs missiles balistiques de portée intermédiaire Hwasong-12 au-dessus du Japon les 4 et 6 octobre dernier. Additionnés à la publication de la nouvelle doctrine nucléaire de Pyongyang – abordée dans notre précédente veille – ces essais ont exacerbé les tensions en Asie de l’Est. Si le passage du missile envoyé le 4 octobre a contraint Tokyo à abriter les habitants et interrompre brièvement le trafic ferroviaire dans deux départements du nord du pays, ce sont les armées américaines et sud-coréennes qui ont chacune tiré deux missiles tactiques en direction de la mer du Japon le mercredi 5 octobre. Selon John Kirby, porte-parole du Conseil national de sécurité américain, il s’agit de montrer leur « capacités militaires » en réponse « aux provocations du Nord ». En dénonçant cette escalade des tensions, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres appelle Pyongyang à « reprendre le dialogue » pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne.

  • Ces nouveaux tirs entrent dans la logique de banalisation des essais balistiques depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-Un en 2012. En effet, environ 170 essais ont été conduits sous son égide alors que son prédécesseur Kim Jong-il n’en avait effectué que 13 entre 1994 et 2011. De plus, le dirigeant nord-coréen entend mettre à profit la distraction causée par la guerre en Ukraine pour développer son arsenal militaire. Mais c’est surtout la désunion de la communauté internationale au Conseil de Sécurité de l’ONU qui laisse un boulevard à ses essais. Pour la première fois depuis 2006, Pékin et Moscou ont opposé, en mai dernier, leur veto d’une résolution proposant l’imposition de nouvelles sanctions contre Pyongyang. 
  • Bien que les missiles aient survolé le Japon, les récents essais balistiques menacent plutôt les Etats-Unis et la Corée du Sud. En effet, si le dernier essai du Hwasong-12 a témoigné d’une portée de 4 600 km et ne permet pas d’atteindre le continent américain, il peut cependant atteindre l’île de Guam, importante base pour les forces armées des États-Unis dans le Pacifique. La cinquantaine d’essais balistique de courte portée réalisés ces quatre dernières années témoigne, en parallèle, des velléités dirigées vers Séoul. C’est pourquoi la Corée du Sud développe sa dissuasion par armes conventionnelles dans le cadre du KMPR [« Korean Massive Punishment and Retaliation »].  

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AFRIQUE DU NORD/MO

L’Iran accuse deux français d’espionnage et de déstabilisation

Jeudi 6 octobre, les médias officiels iranien ont publié une vidéo des deux français arrêtés en mai dernier. Face caméra, Cécile Kohler et son conjoint Jacques Paris ont déclaré être des agents de la DGSE envoyés pour organiser une révolution contre le régime. Selon le Quai d’Orsay, il s’agit d’« une mise en scène indigne, révoltante, inacceptable et contraire au droit international », le ministère des affaires étrangères les qualifiant « d’otages d’état ».

  • Cécile Kohler, professeure, et son conjoint avaient été arrêtés en mai 2022 lors de leur voyage touristique en Iran. Une vingtaine d’européens sont détenus en Iran, dont le français Benjamin Brière, condamné à 8 ans de prison pour espionnage, et la chercheuse franco-iranienne Fariba Abdelkah, condamnée en mai 2020 à cinq ans de prison. L’américain Baquer Namazi a quant à lui été libéré le 5 octobre. Cette politique de détentions arbitraires, la “diplomatie des otages”, est dénoncée par les ONG de défense des droits de l’Homme et utilisée pour obtenir des leviers de négociation face aux puissances étrangères sur la scène internationale.
  • Ces accusations ont lieu alors que d’importantes manifestations ont lieu en Iran depuis la mort de Mahsa Amini mi-septembre, après l’arrestation de la jeune femme par la police des mœurs. Alors que la répression s’est accentuée ces dernières semaines, les manifestants s’en sont pris directement à l’Ayatollah Khomeini et les autorités ont coupé internet à plusieurs reprises. La chaîne de télévision d’Etat a été piratée samedi 8 octobre, diffusant une photographie de l’ayatollah entouré de flammes et de phrases telles que « Rejoins-nous et soulève-toi », « Le sang de notre jeunesse coule de tes griffes » accompagnées d’une chanson reprenant le slogan du soulèvement de la jeunesse iranienne, « Femme, vie, liberté ».

Yémen: l’ONU annonce que la trêve ne sera pas renouvelée 

Le dimanche 2 octobre, l’ONU a annoncé que le gouvernement du Yémen et les rebelles Houthis ne s’étaient pas accordés pour un renouvellement de la trêve en vigueur depuis 6 mois. Les négociations entre les belligérants se poursuivent néanmoins sous l’impulsion de l’émissaire des Nations unies Hans Grundberg, ayant demandé d’éviter “toute provocation ou action pouvant mener à une escalade de la violence”. L’émissaire a remercié le gouvernement pour sa coopération et sa réaction positive aux nouvelles propositions de trêve. Néanmoins, les rebelles Houthis ont au contraire indiqué que les éléments proposés ne correspondaient pas “aux aspirations du peuple yéménite” et ont menacé de s’en prendre aux compagnies pétrolières aux Emirats et en Arabie saoudite.

  • Depuis le 2 avril, le pays était entré dans une trêve relative qui avait permis des cessez-le-feu, renouvelés pour 2 mois à 2 reprises, permettant notamment l’acheminement d’aide humanitaire, de marchandises et de carburant.
  • La guerre au Yémen oppose depuis 2014 les forces gouvernementales, appuyées par une coalition de l’Arabie Saoudite, et les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran. Cette guerre a fait des centaines de milliers de morts, notamment de la famine, et de millions de déplacés. Les négociations pour mettre un terme au conflit restent cependant au point mort, alors que, en août, l’émissaire de l’ONU avait parlé de “consolider l’occasion offerte par la trêve pour s’orienter vers une paix durable”.

 

Veille réalisée par Simon, Pauline, Elias, Camille, Baptiste, Léana, Raphaëlle et Rose.

 

Comité de rédaction

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