Le rôle de l’OTAN dans le conflit en Ukraine : quel est l’avenir des relations OTAN-Ukraine ?

À l’approche du premier anniversaire de l’invasion russe en Ukraine, le rôle des alliés de cette dernière est suivi de près. Que font les pays voisins pour aider l’Ukraine à contrer les forces russes ? Quelles sont les meilleures issues possibles, avec le type de soutien actuellement mis en place ? Bien que de nombreux pays occidentaux aient envoyé des équipements et des armes directement vers l’Ukraine, des mesures ont également été prises au niveau institutionnel, par l’intermédiaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN). En effet, l’Ukraine faisant partie des partenaires bénéficiant du programme “nouvelles opportunités” (EOP) de l’OTAN depuis juin 2020, il est maintenant reconnu que « l’engagement de l’Ukraine envers la sécurité euro-atlantique » est primordial.

Dans ce cadre, quelles ont été les mesures prises par l’OTAN pour rétablir la paix dans sa zone d’action, et quelles modalités pourraient prendre ses relations avec l’Ukraine à l’avenir ?

Le conflit ukrainien, où les règles du jeu sont remises en question

L’invasion russe de l’Ukraine s’est transformée en un conflit armé de l’ordre du “jamais vu”. Trois facteurs contribuent à expliquer pourquoi ce conflit a pris une forme nouvelle et, par la suite, pourquoi les alliés de l’Ukraine ont réagi de manière imprévisible et parfois ambiguë.

Dans un premier temps, le rôle sans précédent des réseaux sociaux dans ce conflit a contribué à ce que l’on appelle désormais « l’influence moderne ». Peu d’individus sur la planète ont été épargnés par les images d’explosions et de bâtiments et véhicules brûlés en Ukraine, diffusées sur des plateformes telles que Facebook, TikTok, Instagram et Twitter. La multiplicité de ces plateformes a fortement augmenté le nombre de témoins, à travers tous types d’appareils électroniques (mobiles). En plus de cela, les nombreux discours et interviews du président Zelensky sur les télévisions nationales (Italie, France, Allemagne notamment) et dans les universités (dont Sciences Po !) l’ont aidé à gagner une certaine portée médiatique, ainsi que d’attirer plus d’alliés : une tactique qui n’avait jamais été utilisée à cette échelle auparavant dans un conflit d’une telle ampleur.

En outre, la technologie duale joue un grand rôle dans cette guerre. Alors que les technologies utilisées par des forces armées étaient exclusivement militaires, des entreprises civiles sont devenues des acteurs majeurs sur le champ de bataille. La constellation de satellites Starlink d’Elon Musk, qui a aidé les Ukrainiens à rester en ligne pendant le conflit, en est un exemple. Des entreprises à plus petite échelle ont également joué un rôle considérable, telles que Quantum-Systems, une société de drones qui a perçu des investissements massifs durant l’invasion russe de l’Ukraine. Ayant initialement fourni des drones capables d’assurer une surveillance aérienne aux agents de police des frontières, aux sociétés minières et à d’autres entreprises civiles, leur utilisation est devenue double. En effet, en 2022, Quantum-Systems a envoyé 42 drones aux forces allemandes, qui ont ensuite été utilisés par les armées ukrainiennes.

Enfin, ce conflit indirect, avec une implication à distance d’alliés européens dans une confrontation  à 1 contre 1, pourrait être comparé à une forme contemporaine de la guerre froide. Le conflit sous-jacent, finalement, est celui de la Russie contre le monde occidental, l’Ukraine agissant comme un intermédiaire. Le continent européen pourrait être considéré comme étant « en guerre sans être en guerre ». Bien que la majeure partie du monde ait déjà souffert des conséquences de ce conflit, seuls deux pays, la Russie et l’Ukraine, ont officiellement déclaré la guerre. Il s’agit à présent, pour l’OTAN et ses membres, de s’adapter à cette nouvelle forme de guerre afin de rétablir une situation de paix.

La valeur ajoutée de l’OTAN et ses objectifs dans le cadre du conflit

Bien que l’OTAN ait été la cible de critiques en raison de sa passivité à l’égard de la Russie, il n’existe pas d’ambiguïté sur son rôle à adopter. En effet, l’article 5 du Traité de l’Atlantique Nord décrit le principe de défense collective, applicable à tous les membres de l’OTAN, dont l’Ukraine ne fait (pour l’instant) pas partie. Il n’y a donc jamais eu d’intentions offensives de l’OTAN durant ce conflit.

Toutefois, cela ne signifie pas que l’OTAN a eu un rôle passif. Tout d’abord, l’OTAN a apporté plus de stabilité à la zone de l’Europe de l’Est, pour éviter que le conflit ne se répande, et ce, avec un effet dissuasif. Dans ce contexte, la France a été parmi les premiers alliés à envoyer ses troupes dans les pays baltes, avec 500 soldats déployés en Roumanie dans ce qu’on a appelé la Force de réaction de l’OTAN (NRF). Par ailleurs, et comme mentionné précédemment, l’Ukraine fait partie des EOP de l’OTAN depuis 2020. Précédemment, et depuis 2014, les forces américaines et britanniques ont formé leurs homologues ukrainiens sur le champ de bataille. Pendant le conflit, la France a envoyé 24 canons Caesar en Ukraine, dans le cadre de son 5e objectif stratégique pour les années à venir, celui d’être un « allié exemplaire dans la zone euro-atlantique » (Revue stratégique nationale 2022 41). Dans les domaines de la planification et de la formation, les États-Unis et le Royaume-Uni ont effectué des sessions wargaming avec l’Ukraine, qui permettent de prévoir des issues potentielles et de former les autorités locales à des scénarios de crise complexes. Le burden-sharing et l’interopérabilité peuvent donc être considérés comme la véritable valeur ajoutée de l’OTAN pour l’Ukraine.

Bien que l’Ukraine ne soit pas membre de l’Alliance, elle a pu participer à des événements de l’OTAN et mettre en œuvre les principes d’interopérabilité pour se doter d’une véritable capacité décisionnelle à l’échelle nationale. Certains de ces événements et conférences sont organisés par les headquarters du Commandement allié Transformation (ACT) de l’OTAN, basé à Norfolk (Virginie), dont le commandant est un général français depuis 2008, date à laquelle la France a pleinement réintégré la structure militaire de l’OTAN. L’événement bi-annuel TIDE Sprint (Think-Tank for Information Decision and Execution Superiority) ou l’exercice annuel CWIX (Coalition Warrior Interoperability Exercice) ont montré la valeur ajoutée réelle des systèmes connectés, qui ont été développés conformément aux normes otaniennes. Lors du TIDE Sprint 2022, l’Ukraine a présenté son nouveau système numérique Delta, qui fournit des informations en direct sur le champ de bataille. Ce système a d’ailleurs contribué à arrêter un convoi russe mécanisé de 64 kilomètres au début de l’invasion. Par conséquent, la coopération entre l’OTAN et l’Ukraine a permis à ses forces armées d’accroître leur niveau de performance, ainsi qu’à développer et à utiliser des systèmes de guerre modernes. Grâce à ces intéractions avec l’OTAN, les forces armées ukrainiennes ont pu profiter pleinement du soutien massif qu’elles ont reçu des États membres.

L’avenir des relations OTAN-Ukraine ?

Si l’Ukraine reste l’un des partenaires “nouvelles opportunités” (EOP) de l’OTAN, ses relations avec cette dernière pourraient être amenées à changer. Si certains prédisent que l’Ukraine deviendra bientôt membre de l’OTAN, le résultat le plus probable, sur le court terme, est que l’Ukraine conservera son statut, tout en renforçant son implication au niveau institutionnel. Pour ce faire, trois mesures pourraient être prises.

Premièrement, les forces ukrainiennes devraient se joindre plus fréquemment à des écoles de formation, telles que l’école de l’OTAN d’Oberammergau (NSO) en Allemagne, afin de mieux connaître les procédures de l’OTAN en vue de leur potentielle adhésion.

Deuxièmement, l’Ukraine devrait participer, en tant qu’observateur, à davantage d’exercices et d’entraînements aux côtés des forces de l’OTAN. Par exemple, l’Ukraine pourrait se joindre au Centre de guerre interarmées (JWC) en Norvège, qui fait partie du Commandement allié Transformation (ACT). Ce centre vise à développer les capacités de guerre au niveau opérationnel ainsi que le overall warfighting readiness, et soutient donc directement les missions de NATO ACT. Un autre centre de formation de l’OTAN, qui relève également de NATO ACT, est le Centre d’entraînement des forces interarmées (JFTC) en Pologne, que l’Ukraine pourrait également rejoindre, notamment pendant les entraînements et exercices, afin d’accroître la préparation générale des forces des membres de l’OTAN.

Une troisième étape, cette fois plus ambitieuse, pour améliorer la défense de l’Ukraine, serait d’accueillir l’un des centres d’excellence (CE) de l’OTAN. Les centres d’excellence sont des « organisations militaires internationales qui forment et entraînent des dirigeants et des spécialistes des pays membres et partenaires de l’OTAN ». Il en existe actuellement 28 dans le monde, axés sur des domaines tels que la médecine militaire, le renseignement humain, la cyberdéfense, etc. La France est d’ailleurs en train de créer un nouveau Centre d’excellence sur l’espace à Toulouse. Un nouveau CE sur les opérations de cyber-influence, évoquant en parallèle le rôle des médias dans la guerre, pourrait être une première étape afin que l’Ukraine devienne une partie intégrante de l’OTAN, comme a pu faire la Finlande1En accueillant un CE sur son territoire, puis en faisant une demande d’adhésion à l’OTAN..

Rappelons que l’objectif de l’OTAN a toujours été de maintenir une stabilité mondiale et de concilier les intérêts nationaux, tant qu’un équilibre est assuré. Bien que de nombreux projets puissent faire progresser le partenariat OTAN-Ukraine, elles pourraient rapidement raviver les tensions entre cette dernière et la Russie, allant ainsi à l’encontre des objectifs de l’OTAN. Mettre un terme au conflit reste l’objectif principal, et doit prendre place avant la création de toute nouvelle structure ou de tout nouveau partenariat.

Conclusion

L’invasion russe de l’Ukraine a révélé une nouvelle série de défis, en raison de son caractère exceptionnel. Les réseaux sociaux ont rendu le conflit visible à toutes les échelles, produisant des effets de masse et attirant davantage d’alliés du côté ukrainien. De nombreuses entreprises spécialisées en nouvelles technologies se sont également impliquées, les transformant ainsi en technologies duales. Le rôle des parties civiles n’a jamais été aussi prépondérant dans un conflit qu’à présent, où l’Ukraine en tant qu’intermédiaire, révèle des tensions géopolitiques plus profondes entre la Russie et l’Occident. Bien que ni la Russie ni l’Ukraine ne soient membres de l’OTAN, cette dernière s’est montrée très efficace dans la formation et l’approvisionnement des troupes ukrainiennes, tout en gardant à l’esprit ses intentions de stabilité mondiale. C’est probablement grâce au partenariat entre l’OTAN et l’Ukraine que celle-ci a pu accroître son niveau de performance, ses capacités à percevoir du soutien militaire et, plus généralement, à progresser sur le champ de bataille. L’avenir des relations entre l’OTAN et l’Ukraine s’annonce prometteur, l’Ukraine étant très probablement plus impliquée que jamais dans les exercices et les groupes de réflexion de l’OTAN, menés en partie par NATO ACT. Qui sait ? L’Ukraine apportera certainement à l’OTAN ses leçons apprises pour gagner les conflits de demain. L’OTAN est donc devenue un acteur primordial dans la résolution de ce conflit, et elle pourra en tirer profit. Une coopération UE-OTAN est néanmoins nécessaire, de façon « complémentaire, cohérente et [en] se renforçant mutuellement » (Joint Declaration on EU-NATO Cooperation), afin de continuer à « soutenir la paix et la sécurité internationales » (ibid).

Écrit par Capucine Ratier, étudiante en 3e année en double-diplôme Sciences Po x University of Hong Kong

 

Sources

AP News. “French paratroopers conduct military drill in Estonia”. Apnews.com, June 22, 2022. Retrieved January 11, 2023, from https://apnews.com/article/russia-ukraine-france-estonia-armed-forces-french-57ddfeb5751ad98d21a6dc470755c3a1

Cantrill, A. “War in Europe draws investors for drone, Battlefield Ai Makers”. Bloomberg. January 6, 2023. Retrieved January 10, 2023, from https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-01-06/war-in-europe-draws-investors-for-drone-battlefield-ai-makers

NATO. “Centres of excellence”. NATO. September 16, 2022. Retrieved January 10, 2023, from https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_68372.htm

NATO. “Joint Declaration on EU-NATO Cooperation”. NATO. January 10, 2023. Retrieved January 11, 2023, from https://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_210549.htm

NATO. “NATO recognises Ukraine as Enhanced Opportunities Partner”. NATO. 12 June, 2020. Retrieved January 10, 2023, from https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_176327.htm

NATO. “Who we are”. NATO Joint Warfare Centre (JWC). Retrieved January 10, 2023, from https://www.jwc.nato.int/organization/who-we-are

Sciences Po. “Fort moment d’échanges entre Volodymyr Zelensky et les étudiantes et étudiants de France. Sciences Po. May 13, 2022. Retrieved January 10, 2023, from https://www.sciencespo.fr/fr/actualites/fort-moment-d-echanges-entre-volodymyr-zelensky-et-les-etudiants-et-etudiantes-de-france

Comité de rédaction

2 réflexions sur « Le rôle de l’OTAN dans le conflit en Ukraine : quel est l’avenir des relations OTAN-Ukraine ? »

  1. Dans ce jeu de guerre opposant la Russie à l’occident votre article ne met pas en exergue le rapport de force qui reste ambiguë au regard des alliances de puissance. La guerre n’a pas encore commencé. il s’agirait d’un conflit d’usure et de wargaming préludant à une confrontation globale à deux options :
    – pas de nucleaire, il y aurait un nouvel ordre mondial mettant fin à l’ONU
    – nucleaire, destruction totale avec consequences un changement cartographique mondial.

    1. Bonsoir Mohamed,
      Nous laissons à la rédactrice de l’article la liberté de répondre ou non à votre commentaire.
      Nous tenons néanmoins porter à votre attention que le sujet de cet article est centré sur les relations OTAN-Ukraine dans le cadre du conflit, et non pas destiné à faire une analyse approfondie des enjeux de puissance et de l’ordre international. Ce dernier sujet est tellement vaste qu’il ne saurait être couvert en un article de 3 pages, qui est le format publié sur notre site.

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