Depuis maintenant une année, la guerre d’Ukraine oppose l’armée de la Fédération de Russie adossée à des groupes paramilitaires et milices autonomistes du Donbass aux forces de la République d’Ukraine. Ce conflit, dont il est souligné à juste titre qu’il constitue le premier de haute intensité depuis la Seconde guerre mondiale sur le continent européen, donne à voir plusieurs évolutions du fait guerrier contemporain.
L’une d’entre elles est indirectement visible par le grand public via des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, montrant d’une vue aérienne rapprochée la destruction de tel ou tel véhicule ou position adverse, parfois même la déroute d’unités et la mort de militaires. Ces enregistrements sont captés par des drones aériens tactiques appartenant essentiellement au camp ukrainien. Le nombre de ces enregistrements démontre par lui-même l’emploi massif de ces aéronefs sur le champ de bataille.
Le présent article ambitionne de comprendre les ressorts de cet emploi pendant l’année écoulée, plus particulièrement en quoi ils furent une contribution à la réussite de la défense territoriale ukrainienne dans les premiers mois du conflit. Il s’attachera à démontrer que l’usage de ces divers drones aériens par les forces de Kiev s’apparente à une « surprise technique » telle qu’elle fut définie par l’Amiral Raoul Castex. A savoir : « l’apparition soudaine d’une arme entièrement nouvelle, dont la réalisation a été soigneusement cachée, et qui ne se révèle qu’au moment de l’utilisation ». Castex ajoute par ailleurs qu’une « telle surprise est également produite, à un moindre degré toutefois, lorsqu’une arme déjà connue est tout à coup employée d’une autre façon ou sur un autre terrain que ceux qui lui étaient assignés par les habitudes, les traditions ou les idées militaires courantes »1CASTEX, Raoul (AL). Théories stratégiques, vol. IV, Les Facteurs internes de la stratégie, France, Paris : C.I.D.-C.E.S.M.-I.S.C.-Economica. 1997. p. 185.. La nuance effectuée par l’Amiral semble ici tout à fait correspondre à l’usage du drone dans le conflit ukrainien et nous allons le démontrer.
Par drones aériens nous entendons des aéronefs autopropulsés, manœuvrant sans pilote à bord, dont la trajectoire peut être commandée à distance ou pré-programmée avant l’envol2L’O.T.A.N. retient trois catégories de drones en fonction de leur masse. Catégorie. I : le drone léger, inférieur à 150 kg, qui regroupe les “micro”, “mini” et “nano” drones, au rayon d’action limité à la Line of Sight. Catégorie. II : le drone tactique entre 150 et 600 kg non doté d’une liaison satellite (portée 200 km). Catégorie III : le drone de plus de 600 kg, qui regroupe les drones de théâtre, d’attaque et stratégiques, doté d’une liaison satellite, s’affranchissant ainsi de la contrainte de distance (la plupart des drones dits MALE [Medium Altitude Long Endurance] et tous les drones HALE [High Altitude Long Endurance]).. Ils se distinguent d’autres objets manœuvrant sans pilotes qui évoluent dans l’espace aérien comme les missiles, par le fait qu’ils sont conçus et employés dans l’optique de pouvoir revenir vers leur utilisateur une fois la mission terminée et ne sont donc pas à usage unique. Aussi, nous exposerons l’emploi des drones aériens dans l’armée ukrainienne d’abord par leurs forces d’infanterie, puis par l’aviation et la marine. Ceci avant de développer l’analyse sur la réaction russe au travers de ce qui est appelé loitering munitioni3Termes anglais au sens difficilement traduisible en français. La littérature francophone a recours indifféremment aux termes « munition rôdeuse », « munition maraudeuse », « drones suicide » ou « drone kamikaze » pour les désigner..
L’infanterie ukrainienne, l’alliance de Bacchus et Damoclès
La résistance des lignes de défense ukrainiennes face aux premières percées russes aux frontières le 24 février 2022 jusqu’à leur essoufflement entre mars et avril 2022 peuvent se comprendre selon deux facteurs. D’abord, par la faiblesse du dispositif russe, dont le plan initial n’était pas adapté à une telle résistance ukrainienne (tant dans ses objectifs et moyens logistiques envisagés). Ensuite, par la très grande létalité des forces ukrainiennes dont le couple infanterie-artillerie battit en brèche les colonnes blindées-mécanisées russes.
Cela n’allait pas de soi. L’arme blindée a d’abord été conçue pendant la Grande guerre précisément pour sortir de l’impasse dans laquelle la puissance de feu de l’artillerie et des armes collectives d’infanterie, comme les mitrailleuses, avaient plongé le conflit à partir de l’été 1914. Toutefois les forces armées ukrainiennes ont construit après 2014 des unités d’infanterie motorisées fortement pourvues en équipement antichar (RPG, NLAW, Javelin) ce qui a rehaussé leur puissance de feu de premier échelon et leur létalité contre les blindés. De plus, les feux d’artillerie ukrainiens n’ont certes pas changé dans leurs effecteurs — les tubes disponibles au début du conflit étaient toujours des affûts hérités de l’U.R.S.S. — mais leur efficacité s’est accrue grâce à la diffusion de l’usage de drones légers tactiques4 HENROTIN, Joseph. « Le futur est le passé. Avec le GPS (et des drones) », DSI Hors-Série. N°84, juin-juillet 2022. p. 10., leur usage en masse constituant la « surprise technique » susmentionnée.
Les forces ukrainiennes ont utilisé dès les premiers jours des drones de type quadrirotor d’origine civile, qui ont permis une démultiplication des reconnaissances du dispositif adverse par les unités du front, à même ensuite de guider avec précision des feux d’artillerie sur les colonnes d’assaut. Ce dispositif trouve son origine dans la triste expérience ukrainienne de la Guerre du Donbass (2014), où le manque de renseignement avait abouti – entre autres – à de lourdes pertes face aux séparatistes soutenues par l’artillerie russe. La donne s’est inversée depuis février 2022, les unités d’infanterie ukrainienne disposant d’une meilleure conscience de leur environnement : le renseignement ainsi recueilli est transmis aux unités ukrainiennes, leur permettant de disposer d’une « carte numérique » en temps réel des mouvements ennemis et, le cas échéant, de mener des frappes. Ce détournement de drones civils légers pour un usage militaire n’est certes pas nouveau (ex : utilisé également en Syrie5Certaines unités de l’État Islamique avaient utilisé de manière marginale des drones civils équipés d’une charge explosive pour servir d’engin explosif improvisé (IED) volant dans les combats de siège en Irak et Syrie.) mais constitue bien une « surprise technique » à grande échelle. En l’absence de contre-mesures efficaces, ces armes ont représenté un atout de taille dans la formation d’un « complexe reconnaissance-frappe » ukrainien (pour reprendre un concept russe), amplement décentralisé et producteur de renseignement opérationnel. Par conséquent, le conflit ukrainien est certainement l’un des fronts plus documentés en images grâce aux drones6GREENWOOD, Faine. « Ukraine War Is Being Watched From the Sky », Foreign Policy. 2 avril 2022. .
L’unité Aerorozvidka7SHOAIB, Alia. « Inside the elite Ukrainian drone unit founded by volunteer IT experts: ‘We are all soldiers now.’ », Insider. 9 avril 2022 a été la première à utiliser ces drones en ce sens, selon une même logique de « débrouille » que celle ayant amené à user de matériel civil grand public. Plusieurs drones multi-rotors se virent dotés de systèmes de largages rudimentaires permettant le lâcher de charges sur les blindés adverses, comme le démontrent de multiples vidéos diffusées sur les réseaux sociaux8<https://youtu.be/tI5ABZPw9Us?t=73> (01min14 → 02min09) ; <https://youtu.be/W_r2CB9Iak4> (00min00 → 00min20). Ainsi, l’infanterie ukrainienne9Entendue surtout ici comme les unités de mêlée — aptes à la manœuvre — à différencier des unités de défense territoriales constituées majoritairement de mobilisés, moins bien équipées et employées d’abord dans la défense urbaine. joue les rôles de Bacchus en ayant toujours un œil ouvert pour repérer l’ennemi, et de Damoclès en pouvant frapper depuis le ciel au-delà de la vue directe, par ses moyens en cas de manquement de l’artillerie.
Le cas du Bayraktar, de l’impact physique et psychologique d’une armée de l’air sans avions
Au-delà de l’usage tactique des drones légers — ou micro-drones — par les fantassins ukrainiens, l’emploi de modèles plus lourds de la catégorie U.A.V.10Unmanned Aerial Vehicle — Véhicule Aérien Sans Pilote. ou U.C.A.V.11Unmanned Combat Aerial Vehicle — Véhicule Aérien de Combat Sans Pilote. dont le symbole est le TB-2 Bayraktar de fabrication turque, expose deux autres enseignements propres à ce conflit.
En premier lieu, celui qu’une force aérienne réduite à une activité minimale par les pertes en appareils de combat peut malgré tout continuer d’opérer et de jouer un rôle opérationnel certain. En effet, l’armée de l’air ukrainienne employa dès le début ses drones TB-2 avec leurs munitions à guidage laser MAM-L — dont elle disposait vraisemblablement plus d’exemplaires que recensés par les observateurs12Les forces de Kiev n’alignaient en service que 7 TB-2 sur au moins 12 commandés. INTERNATIONAL INSTITUTE FOR STRATEGIC STUDIES. « Chapter Five : Russia and Eurasia », The Military Balance. Vol. 122, 2022. p. 211-215. L’Ukraine a par la suite commandé ou reçu par don de la Turquie (pas de déclaration officielle sur le statut de ces livraisons) 16 TB-2 en mai 2022 puis 40 en août 2022. D.S.I. N°159, mai-juin 2022. p. 39. ; D.S.I. N°160, juillet-août 2022. p. 35. — pour mener des frappes relevant de l’appui-feu, mais surtout de l’interdiction (missions visant à ralentir ou paralyser l’arrivée de ravitaillement et renforts ennemis par l’attaque de points logistiques à l’arrière du front) ou des missions SEAD13Suppression of Ennemy Air Defenses – Destruction des Défenses Anti-aériennes Ennemies. Illustration : <https://youtu.be/y0CttOf2KZc> (00min00 → 1min25) (qui visent à détruire les moyens adverses de défense aérienne). La maîtrise de l’espace aérien au-dessus de l’Ukraine s’est construite progressivement par l’accumulation de systèmes anti-aériens plus que par des sorties de supériorité aérienne. Le rôle de la frappe stratégique semble avoir lui aussi fait l’objet d’une « dronisation » avec l’emploi répété de plusieurs drones d’observation Tu-141 de l’époque soviétique, modifiés pour porter une bombe ordinaire. La première occurrence advint à la connaissance du public par accident le 11 mars14 Un exemplaire de ce drone doté d’une bombe s’écrasa dans un jardin de Zagreb (Croatie) sans faire de victimes. THE GUARDIAN. « Military drone from Ukraine war crashes into Croatian capital Zagreb », The Guardian. 11 mars 2022.. Puis entre décembre 2022 et février 2023 plusieurs Tu-141 se sont écrasés sur le territoire russe, certains endommageant des bombardiers stratégiques sur le base aérienne d’Engels-2 (Oblast de Saratov) sans que cela ne soit revendiqué par Kiev15POWIS, Gaëtan. « Frappes ukrainiennes en Russie : au moins deux bombardiers russes endommagés », Air&Cosmos. 06 décembre 2022 ; TASS. « Air defenses destroy unidentified object in Saratov Region — governor », TASS. 29 décembre 2022.. Ainsi, l’Armée de l’air ukrainienne reste active malgré la destruction de sa flotte conventionnelle, donnant une illustration de l’idée de « guérilla aérienne » et conserve, contre toute attente, sa capacité à frapper la Russie en profondeur.
Toutefois, le terme de surprise technique pour qualifier cet usage des TB-2, Tu-141, et cætera serait abusif. En effet, le TB-2 fît déjà l’objet d’un emploi intensif lors des conflits entre Arménie/Haut-Karabakh et Azerbaïdjan en 202016MITZER, Stijn, OLIEMANS, Joost. « The Conqueror of Karabakh: The Bayraktar TB2 », de même qu’entre les forces de l’Armée Nationale Libyenne (A.N.L.) et celles du Maréchal Haftar en Libye lors de l’offensive sur Tripoli des forces de ce dernier17MITZER, Stijn, OLIEMANS, Joost. « An Unmanned Interdictor: Bayraktar TB2s Over Libya ». Il est en revanche à noter que l’Ukraine a su user des succès des TB-2 pour produire une communication victorieuse et positive sur son action militaire. Le Bayraktar est devenu un symbole en lui-même, au point qu’une chanson y soit dédiée18BOROVOK, Taras, (Colonel [Ukraine]). « Bayraktar » <https://www.youtube.com/watch?v=7YaXdP06zO0>. Il est probable que cette réputation ait limité certaines manœuvres russes, les commandants préférant éviter de s’exposer aux frappes19THOMAS, Aude. « Les drones sur le champ de bataille : quelles leçons tirer de leur emploi par les forces ukrainiennes ? », Défense & Industries. N°16, juin 2022. p. 12, amenant à un effet opérationnel de ces drones potentiellement supérieur à leur présence physique effective20Il s’agit d’un schéma récurrent dans l’histoire militaire ou la réputation d’un système d’arme, ou d’une unité militaire, entraîne plus de prudence que nécessaire (considérant son action réelle) de la part du camp adverse. Ce fut ainsi le cas dans la perception des missiles Stinger états-uniens livrés aux moudjahidins afghans par l’intermédiaire du Pakistan entre 1980 et 1989. Provoquant une crainte auprès des pilotes soviétiques sans commune mesure avec les pertes infligées de facto par ces missiles. Voir SIDOS, Philippe, (COL). La guerre soviétique en Afghanistan, France, Paris : Economica. 2016. p. 269-287., illustrant parfaitement l’aspect psychologique de la puissance aérienne telle que théorisée à l’extrême par Douhet21DOUHET, Giulio. La maîtrise de l’air [Il dominio dell’aria] (trad. SMITH, Benoît et ROMEYER Jean), France, Paris : I.S.C.-Economica. 2007.
La véritable surprise technique revient à la Marine ukrainienne qui, pour la première fois au monde, a inclus un drone dans une opération navale en combinant un TB-2 et une batterie terrestre de missiles anti-navires Neptune. Cette action aboutit à un succès opérationnel et symbolique fort avec la destruction du croiseur lance-missile Moskva en Mer Noire le 13 avril 2022. Le drone aurait, selon les autorités ukrainiennes, servi à repérer le navire et à en détourner les défenses22SHELDON-DUPLAIX, Alexandre. « Ukraine : la Russie à la peine. », Marines & Forces navales. N°199, juin-juillet 2022. p. 33.. Les TB-2 de la Marine ont également été employés pour frapper l’Île aux Serpent occupée par la Russie jusqu’en juillet23 <https://twitter.com/UAWeapons/status/1523027490230444035?s=20&t=pu-vCUyqoyRO-tkQ8QRIkA>.. Enfin, les drones sont régulièrement utilisés pour des frappes navales côtières, coulant ou endommageant sérieusement des vedettes d’assaut à l’instar de Raptor et BK-16 en mai 2022.
La réponse Russe, la densification à bas coût de la puissance de feu, Shaded-136 et Lancet
Plus encore que ne l’avait fait le conflit pour le Haut-Karabagh de 2020, cette guerre expose l’usage répandu et intensif de loitering munitions ou munitions rôdeuses/drones suicides24SMALDORE, Yannick. « Munitions rôdeuses. Un atout majeur. », DSI. N°161, septembre-octobre 2022. p. 92, une forme hybride du drone et du missile de croisière. Comme ces derniers, ils sont voués à accomplir leur mission en se détruisant. Comme les premiers, ils sont plus manoeuvrant, peuvent éventuellement revenir de mission intacts si aucune cible ne s’est présentée, et emploient leur surface portante pour se maintenir en l’air plutôt que l’unique poussé d’un propulseur.
Sur ce plan, il apparaît que la Russie a développé plus rapidement leur emploi pour pallier son incapacité à transformer la supériorité numérique de son aviation en supériorité aérienne effective au-dessus du territoire ukrainien. A partir de septembre-octobre 2022 plusieurs salves de frappes à longue portée ont été lancées contre les infrastructures électriques et d’eau potable des grands centres urbains d’Ukraine dont 30 % à 40 % étaient hors-service fin octobre25ZELENSKY, Volodymyr. 20/10/2022 : « Attacks by Russian cruise missiles and Iranian combat drones have destroyed more than a third of our energy infrastructure. » ; VINCENT, Faustine. « Le réseau électrique d’Ukraine, nouveau « champ de bataille » de la Russie », Le Monde. 24/10/2022. A.F.P. et EURONEWS. « Ukraine : « attaque massive » russe contre des installations énergétiques dans plusieurs régions », Euronews. 31/10/2022.. Ayant déjà accumulé du retard dans le développement de drones plus « classiques », Moscou se fournit pour ces frappes auprès de l’Iran qui produit les Shaded-13626RAMZY, Austin. « What is known about the Iranian-made drones that Russia is using to attack Ukraine. », The New York Times. 17 octobre 2022.. L’objectif est ici le même que pour Kiev : affaiblir le moral de la population et toucher des infrastructures stratégiques.
En outre, l’automne 2022 a acté l’arrivée sur le front des munitions rôdeuses Lancet (et leurs variantes) de fabrication russe, qui sont employées pour les mêmes missions que les TB-2 ukrainiens au début du conflit ; à savoir, les frappes au-delà de la ligne de contact, notamment dans la contre-batterie (26 frappes documentées) et les missions SEAD (18 frappes contres des systèmes de radars ou de missiles anti-aériens)27 MITZER, Stijn, OLIEMANS, Joost. « Hit Or Miss: The Russian Loitering Munition Kill List ». L’Ukraine n’est cependant pas en reste concernant ces armes puisque les Etats-Unis avaient accepté de lui livrer des munitions rôdeuses légères Switchable 300/60028D.S.I. N°159, mai-juin 2022. p. 39., qui sont particulièrement létales pour les engins moins blindés ou les fantassins retranchés à ciel ouvert (ex : tranchées).
Enfin un enjeu réside dans les moyens consacrés au conflit. De fait, pour un coût estimé suivant les contrats aux alentours de 5 millions de dollars américains29FAIVRE LE CADRE, Anne-Sophie. « Le drone turc, atout majeur de l’armée ukrainienne », Libération. 9 mars 2022, un Bayraktar permet, avec certaines limitations (sensibilité au brouillage surtout), de réaliser des missions de frappe de précision dans les 15-20 km derrière la ligne de front, ce que les russes dévouent à leurs hélicoptères Ka-52 Alligator, bien plus onéreux. Avec l’avancée du conflit et par mimétisme, le camp russe use de drones suicides pour des frappes sur les infrastructures. Un usage certes sujet à contre-mesures30On peut résolument considérer que plus de la moitié des aéronefs lancés sont abattus par la défense anti-aérienne ukrainienne, ou manquent leur cible faute de précision ou à cause d’un brouillage du signal G.P.S. qui les guide : « L’efficacité de la campagne est par ailleurs d’autant plus réduite que la défense ukrainienne fait des progrès constants passant d’une capacité d’interception de missiles de 30 % en mars à plus de 50 % en juin. », in GOYA, Michel, (COL [2S]). op. cit. Les déclarations officielles ukrainiennes revendiquant un taux d’interception de plus de 85 % en moyenne pendant le dernier trimestre 2022., mais le caractère bon marché relativement à un missile de croisière permet — à coût équivalent — de disposer d’un arsenal plus imposant. Cette masse de frappe potentielle force en retour l’adversaire à investir des moyens et ressources dans une défense anti-aérienne particulièrement dense. C’est ce que fait Kiev, allant jusqu’à chercher à acquérir le très coûteux et sophistiqué système anti-missiles israélien Iron Dome.
Conclusion
Ainsi, l’usage des drones aériens en masse a contribué à la réussite de la défense ukrainienne en participant à une nouvelle densification des moyens de frappe de l’infanterie de même qu’à diversifier les moyens de reconnaissance et de coordination de l’artillerie31DESJARS DE KERANROUË, Romain, (LCL). « L’emploi des drones : un atout sous-estimé pour la puissance aérienne ? », Vortex. N°3, juin 2022. p. 105..
De fait, la guerre en Ukraine réalise les hypothèses de certains observateurs, qui envisageaient l’émergence d’« adversaire[s] ayant massivement intégré les drones à sa[leur] flotte [qui] pourrai[en]t amener à reconsidérer l’arbitrage qui a été accompli entre le perfectionnement des plateformes, leurs types et leur nombre ».38 Ces illustrations posent sans ambiguïté la question de la pérennité d’un modèle d’armée fondé sur des capacités de haute technicité mais en nombre réduit, face à des ennemis potentiels certes techniquement « inférieurs », mais qui auront intégré une masse de systèmes de frappes légers pouvant emporter la confrontation des moyens par le nombre et la saturation32MIRALLES, P., THIÉRIOT, J.-L. : « Face à des nuées de drones à un millier d’euros, est-il intelligent d’utiliser des missiles qui coûtent entre un à deux millions d’euros pièce ? » in « La préparation à la haute intensité », Rapport d’information parlementaire par la commission de la défense nationale et des forces armées, n°5054. Février 2022. p. 92. Cité dans : DESJARS DE KERANROUË, Romain, (LCL). op. cit. p. 107..
Comme toute « surprise technique », l’usage massifié des drones, ou tout simplement pour de nouvelles opérations, donne un avantage à celui qui en use face à celui qui se trouve devancé sur ce domaine. Il demeure que comme toutes surprises, celles-ci ne durent qu’un temps. Historiquement, « l’apparition d’une arme nouvelle a toujours été suivie plus ou moins rapidement d’un contre perfectionnement de l’armement qui enlève à l’arme en question la supériorité exorbitante qu’elle avait pu un instant prendre »33ULLER, J.F.C., (Major-General [Grande-Bretagne]). L’Influence de l’armement sur l’histoire, France, Paris : Payot. 1948. p. 39. Cité dans : DE LESPINOIS, JÉRÔME. « La surprise technique : matrice de la guerre aérienne ? », Stratégiques. N°106, 2014/2. p. 69. La question étant celle du temps nécessaire aux armées confrontées à ces usages novateurs d’armes, pour s’adapter tant sur le plan des tactiques que des matériels, afin de parer l’avantage adverse initial. La réponse dépend de la plasticité et de l’esprit d’adaptation des forces pour développer de nouvelles doctrines (plan immatériel), et de la performance des industries militaires des différentes puissances pour produire les systèmes de contre-mesures et/ou d’interception (plan matériel).
Rédigé par Auguste Lombard, étudiant en 3ème année de Bachelor à Sciences Po