Veille stratégique – Octobre 2023 2/2

FRANCE 

La France accentue sa coopération militaire avec l’Arménie

Le 23 octobre dernier, le ministre des Armées Sébastien Lecornu recevait son homologue arménien Suren Papikyan. La rencontre, dont l’objectif était le renforcement du partenariat stratégique entre les deux pays, intervient dans un contexte tendu pour l’Arménie, qui redoute une attaque sur son territoire par son voisin, l’Azerbaïdjan. L’assistance française à Erevan se matérialise par deux axes : le premier entend renforcer les capacités défensives du pays par des ventes de matériels, et le second consiste à appuyer la modernisation de l’armée arménienne par des moyens de formation et de coopération.

  • L’Arménie et l’Azerbaïdjan font face à un contentieux territorial en ce qui concerne le contrôle du Haut-Karabakh, territoire azéri peuplé d’Arméniens. Il a été l’objet de deux guerres (1988-1994 puis 2020). Dernièrement, Bakou a mené une offensive éclair pour recouvrer définitivement sa souveraineté sur l’enclave arménienne, provoquant le départ de plus de 100 000 Arméniens.
  • Concernant le premier volet de la coopération, le ministre français a annoncé la vente de trois Radar GM200 du groupe Thalès ainsi que des jumelles de vision nocturne. Une lettre d’intention portant sur l’acquisition de missiles sol-air de type « Mistral » a également été signée.
  • Sur le plan de l’échange des savoirs-faire, des militaires français seront envoyés pour former leurs homologues arméniens entre la fin de l’année et le début de 2024. La création d’une mission de défense à Erevan, engagée dès l’été 2022, s’inscrit dans la volonté d’appuyer les forces arméniennes dans leur transformation.

La France renforce sa posture militaire en Méditerranée orientale après la visite d’Emmanuel Macron en Israël

Mardi 24 octobre, Emmanuel Macron s’est rendu en Israël et en Cisjordanie, un peu plus de deux semaines après l’attaque du Hamas. Après avoir rencontré les familles des victimes françaises de l’assaut du 7 octobre, le Président français a rencontré le Premier ministre Benyamin Netanyahou à Jérusalem. Il s’est ensuite entretenu avec le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, en Cisjordanie occupée.

  • Si le président français a renouvelé la « solidarité » de la France avec Israël lors d’un entretien avec le Président Herzog, il a tenu un discours plus ferme face à Benyamin Netanyahou, demandant à ce que « la cause palestinienne soit entendue avec raison », et plaidant pour une solution à deux Etats.
  • Aux côtés du président de l’Autorité palestinienne, le président français a assuré qu’ « une vie palestinienne vaut une vie française qui vaut une vie israélienne ». Aussi, estimant que l’ « avenir » des Palestiniens passerait forcément par une lutte « sans merci et sans ambiguïté » contre le terrorisme, Emmanuel Macron a appelé à la formation d’une coalition pour lutter contre le Hamas, dans « la même logique » que celle choisie pour lutter contre le groupe Etat islamique.
  • Concluant sa tournée diplomatique au Proche-Orient, le chef de l’Etat français s’est rendu au Caire et a salué la mobilisation de l’Egypte « pour les populations de Gaza ». Il a également annoncé l’engagement de la France sur le terrain humanitaire avec l’envoi du porte-hélicoptères amphibie Tonnerre, bâtiment de soutien de la Marine nationale, qui rejoindra deux frégates déjà présentes sur place.

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EUROPE

LIVEX: l’UE lance le premier exercice grandeur nature

Du 16 au 23 octobre, les côtes andalouses ont servi de théâtre au premier exercice grandeur nature organisé par l’Union Européenne, dénommé LIVEX. Cette simulation vise à promouvoir la synergie et la coordination des forces de défense des Etats membres, ainsi qu’à évaluer l’éventuelle capacité de déploiement rapide de l’Union, qui devrait commencer à être opérationnelle à partir de 2025. L’exercice rassemblait près de 2900 militaires de 19 pays différents, dont 600 français. LIVEX a constitué l’opportunité de tester l’interopérabilité des armées européennes dans le cadre de l’UE, et a été perçu comme un pas significatif vers une « Europe de la Défense », au point qu’un deuxième exercice devrait être planifié pour le deuxième semestre 2024 en Allemagne.

  • Cette accélération du dossier d’une défense communautaire s’explique par la volonté d’accroître l’indépendance des pays européens à l’égard de l’OTAN, notamment dans la perspective d’un éventuel retour de Donald Trump a la Maison Blanche à partir de 2025.
  • Le renforcement de la défense de l’UE est redevenue une priorité à la suite de l’invasion russe de l’Ukraine. Toutefois, LIVEX vise la construction d’une capacité européenne de projection hors du continent européen et n’est pas adapté à la haute intensité.
  • Ce premier exercice grandeur nature a été financé par le budget de la Facilité européenne pour la paix (FEP).

Le nouveau gouvernement slovaque annonce la fin de l’aide militaire à l’Ukraine

Jeudi 26 octobre, le nouveau Premier ministre slovaque Robert Fico a déclaré avoir mis fin à l’aide militaire à l’Ukraine. Le leader du SMER-SD a également retiré le soutien slovaque aux fournitures d’armes de la part de l’Union Européenne, tout en restant favorable à l’aide humanitaire. Le gouvernement nouvellement élu a également fait part de sa volonté de ne pas voter en faveur des sanctions communautaires à l’égard de la Russie, tout du moins sans une évaluation préalable de leurs impacts directs sur le pays.

  • Depuis le début de l’invasion russe, la Slovaquie a été l’un des grands soutiens militaires de l’Ukraine, au travers de la cession d’un système de défense anti-aérien S-300 et d’avions de combat Mi-29. Les élections du 30 septembre dernier ont complètement renversé cette posture stratégique, en permettant à Robert Fico de former une coalition comprenant un parti ouvertement pro-russe.
  • En arrêtant la fourniture d’armes à l’Ukraine, le nouveau gouvernement répond à la sympathie d’une partie de la population sloavque a l’égard de la Russie. Par ailleurs, depuis la précédente expérience de M. Fico a la tête de l’exécutif slovaque en 2009 , ses relations personnelles avec Kiev seraient exécrables.
  • Le soutien européen à Kiev se retrouve ainsi de nouveau fragilisé, après l’annonce de l’arrêt de l’assistance militaire polonaise il y a quelques semaines.

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AMERIQUES

L’instable ligne de crête américaine : entre soutien absolu et avertissement contenu à Israël

Suite à l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre, la réaction de l’administration Biden a d’abord résidé en un appui absolu envers l’État hébreu. Le président américain s’est par la suite rendu le 18 octobre à Tel-Aviv afin de rencontrer notamment le Premier ministre Benyamin Netanyahou, tout en intégrant davantage à son discours un souci envers la situation des habitants de Gaza. Cette concession n’a cependant pas suffi à apaiser l’ire des pays arabes normalement alliés de Washington : le sommet devant réunir, à Amman, le chef d’État américain, le roi Abdallah II de Jordanie et le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a ainsi été annulé. Malgré ce revers, Joe Biden a prononcé dès le 19 octobre une allocution présentant sa volonté de faire voter par le Congrès un paquet d’aides à hauteur de 100 milliards de dollars, destinées à l’Ukraine, à Taïwan et à Israël. Simultanément, les États-Unis ont nettement renforcé leur présence militaire en Méditerranée orientale : près de 15 000 soldats y sont ainsi déployés.

  • Ces divers événements révèlent la recherche complexe d’équilibre poursuivie par l’administration Biden, entre soutien fort à Israël, et définition des limites implicites américaines. Ces limites prennent la forme d’un appel à la lucidité, visant notamment à amoindrir la crise humanitaire sévissant à Gaza et à empêcher une surenchère militaire de la part du gouvernement de Netanyahou, risquant d’entraîner le déclenchement d’une opération militaire irréalisable.
  • Toutefois, cet exercice d’équilibre – particulièrement au travers du renforcement de la présence des États-Unis en Méditerranée – cherche probablement en premier lieu à éviter un embrasement régional, en dissuadant l’Iran et ses alliés, notamment le Hezbollah libanais et les Houthis yéménites d’entrer dans le conflit. Les bâtiments américains sont ainsi en mesure d’instaurer une bulle de protection autour d’Israël, en interceptant les missiles pouvant être tirés vers l’État hébreu.
  • Enfin, les précautions de l’administration Biden n’ont pas empêché son isolement de plus en plus important vis-à-vis des pays arabes. À Amman ou à Beyrouth, des manifestations se sont par exemple déroulées devant l’ambassade des États-Unis, tandis que des tirs de roquette ont pu cibler certaines bases américaines, comme en Irak ou en Syrie.

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RUSSIE/NEI

L’Ukraine fait face à une contre-attaque russe à Avdiïvka

D’après l’Institute for the Study of War (ISW), un groupe de réflexion américain, Les forces russes auraient réussi, au prix de lourdes pertes, à conquérir plusieurs kilomètres carrés près de la ville industrielle de Advïika, dans le Donbass, grâce à une manœuvre interarmes et l’engagement de nombreux matériels de pointe à partir du 10 octobre 2023. La ville aurait été depuis fortement fortifiée par les troupes russes.

  • La contre-attaque russe dans ce secteur du Donbass constituerait, d’après le ministère de la Défense britannique, l’opération offensive russe la plus importante depuis janvier 2023.
  • Elle intervient alors que les forces ukrainiennes mènent une large offensive depuis l’été 2023 pour tenter de percer les lignes russes le long d’une ligne de front longue de 1200 km, notamment dans le Sud du pays. Si les forces de Moscou ont marqué un recul, aucune percée significative n’a pour l’instant eu lieu.
  • Le temps presse pour les forces de Kiev. En effet, la raspoutitsa, caractérisée par des pluies automnales rendant le terrain boueux, empêchera bientôt toute manœuvre blindée d’ampleur.
  • La ville avait déjà été l’objet de combats et avait été occupée temporairement par les milices prorusses en 2014.

La Russie instrumentalise le conflit israélo-palestinien pour affaiblir le soutien à l’Ukraine

La Russie s’est éloignée de sa position de neutralité dans le conflit israélo-arabe en ne condamnant pas l’attaque du Hamas survenue le 7 octobre 2023. En ne soutenant pas Tel-Aviv, qui mène actuellement des bombardements massifs de la bande de Gaza, Moscou se distingue des pays occidentaux et espère retourner à son avantage les accusations occidentales concernant le non-respect du droit international et les crimes contre des civils commis par les troupes russes en Ukraine. Outre le fait que le conflit opposant Israël au Hamas détourne l’attention médiatique de la guerre ukrainienne, le Kremlin espère que le soutien des Occidentaux à Israël affaiblira celui apporté à Kiev.

  • Les Occidentaux s’exposent en effet aux critiques des pays du « Sud global » sur le traitement différencié de crimes de guerre et sur son hypocrisie supposée. Le président russe Vladimir Poutine a ainsi su saisir l’opportunité de comparer le siège de Gaza au blocus de Leningrad par les Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale.
  • Moscou estime par ailleurs qu’Israël n’aidera pas militairement l’Ukraine. La Russie contrôlant l’espace aérien syrien, l’armée de l’air israélienne en est en effet dépendante pour opérer des frappes en Syrie. De plus, le rapprochement entre Téhéran et Moscou (matérialisé par l’envoi de drones-suicides iraniens Shahed-136 à la Russie et l’achat d’avions de combat Sukhoi Su-35 par l’Iran) oblige Israël à faire preuve de retenue si elle ne veut pas que la Russie aide encore davantage militairement Téhéran, notamment en ce qui concerne sa quête de l’arme atomique.

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AFRIQUE

Au Mali, le tumultueux retrait de la Minusma se poursuit

Le 23 octobre, la Minusma (Mission multidimensionnelle Intégrée des Nations Unis pour la Stabilisation au Mali) a annoncé son retrait de la base d’Aguelhok, dans la région de Kidal, au nord-est du pays. Cette opération s’est vue perturbée par le blocage de certains de ses moyens logistiques par le gouvernement malien – leur reprochant d’évacuer précipitamment – mais également par la résurgence des groupes touaregs et islamistes dans la région. Faute d’autorisation d’évacuation aérienne malienne, un convoi terrestre a ainsi dû être organisé vers le Tchad, et a en outre essuyé des attaques à l’engin explosif improvisé sur le chemin, causant blessés et dégâts matériels.

  • Cette évacuation est la septième organisée suite à la demande formulée par la junte malienne en juin 2023 du départ complet des Casques bleus du pays. La date limite de départ de la Minusma a été fixée au 31 décembre 2023, ce qui risque de ne pas laisser assez de temps aux Casques bleus pour évacuer ou détruire l’ensemble de leur matériel, que pourraient s’approprier les forces armées maliennes ou des groupes rebelles.
  • Par ailleurs, le retrait de la force française Barkhane, également souhaité par la junte malienne, exposait les Casques bleus à une situation sécuritaire dégradée. Le Mali compte ainsi désormais, pour assurer sa sécurité, sur ses propres forces armées ainsi que sur le soutien russe (notamment via le groupe Wagner).

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ASIE

Premier exercice militaire aérien conjoint entre la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis

Le 22 octobre, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis ont réalisé pour la première fois un exercice militaire aérien conjoint au sud de la péninsule coréenne, symbole de leur coopération sécuritaire renforcée face aux « menaces nucléaires et balistiques croissantes de la Corée du Nord » dénoncées par l’armée sud-coréenne. Les manœuvres trilatérales ont été marquées par la présence du bombardier stratégique américain B-52 Stratofortress, escorté par des avions de chasse des trois pays.

  • Ces exercices militaires s’inscrivent dans la lignée du sommet de Camp David d’août dernier. Outre l’intensification du partage de renseignement, l’un des objectifs était en effet la mise en place d’un programme d’exercices conjoints.
  • Début octobre, Séoul, Tokyo et Washington ont mené des exercices maritimes trilatéraux pour la première fois en sept ans. Pour Pyongyang, qui dénonce ces exercices depuis plusieurs années, leur tenue constitue la préparation à une invasion.
  • Alors que les Etats-Unis affirment que des livraisons d’armes ont eu lieu entre Pyongyang et Moscou ces dernières semaines, Sergueï Lavrov a effectué un déplacement en Corée du Nord le 18 octobre. Le ministre des Affaires étrangères russe a notamment souligné la politique militaire « dangereuse » de Washington et de ses deux alliés dans la région.

Nouvelle étape dans le développement du canon électromagnétique japonais

Rattachée au ministère de la Défense, l’Agence japonaise d’acquisition, de technologie et de logistique (ATLA) a affirmé le 17 octobre avoir « réalisé pour la première fois au monde un test de tir avec un canon électromagnétique [railgun] à bord d’un navire ». S’y intéressant depuis les années 1990, Tokyo avait initié ce nouveau projet aux alentours de 2016.

  • Alors que l’US Navy avait débuté un programme pour développer cette technologie en 2005, celui-ci a été mis en suspens en 2021 du fait de contraintes budgétaires. La Chine aurait quant à elle mené des essais en 2018. Selon le renseignement américain, un canon électromagnétique états-unien pourrait être opérationnel à partir de 2025.
  • Selon l’Institut franco-allemand de recherches de Saint-Louis, qui travaille sur un projet de canon électromagnétique européen, cette arme constitue « une technologie de rupture pour l’artillerie ». Outre la réduction du coût d’un tir et sa précision, le canon a notamment l’avantage de ne pas requérir de stockage d’explosifs, permettant ainsi une réduction du danger.
  • Le fonctionnement du canon requiert une importante quantité d’électricité. En effet, celle-ci est à l’origine du champ magnétique qui permet de propulser un projectile à vitesse hypersonique.

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AFRIQUE DU NORD/MO

Tsahal intensifie ses frappes et entre dans une « nouvelle phase de la guerre » à Gaza

La nuit du vendredi 27 au samedi 28 octobre a marqué un tournant dans les opérations de l’armée israélienne dans la bande de Gaza. Le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant a affirmé amorcer « une nouvelle phase de la guerre » et ce jusqu’à « nouvel ordre ». Selon un communiqué, Tsahal aurait frappé par voie aérienne « 150 cibles souterraines », comprenant des « tunnels [utilisés par le Hamas] et des sites de combats souterrains ». Parmi les victimes se trouveraient notamment le responsable du réseau aérien du Hamas et le commandant de la force navale de la brigade de Gaza du Hamas. Au sol, des troupes israéliennes ont mené des incursions terrestres sans précédent dans le nord et au centre de l’enclave palestinienne, à Beit Hanoun et à Bureij. En parallèle, les communications et l’accès à Internet ont été coupés pendant plus de vingt-quatre heures, plongeant Gaza dans un blackout total. Si la veille, l’Assemblée générale des Nations Unies avait adopté une résolution exigeant « une trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue » ce texte non contraignant a vivement été rejeté par Israël, dénonçant une « infamie ».

  • En réaction à l’intensification des frappes israéliennes, le président iranien Raïssi a affirmé dimanche que l’État Hébreu avait « franchi les lignes rouges, ce qui pourrait obliger tout le monde à passer à l’action ». Il estime que l’Iran a pour « devoir » de soutenir « l’axe de la résistance », incluant notamment le Hezbollah libanais. Depuis le déclenchement de la guerre, la tension s’accroît à la frontière nord d’Israël, les accrochages avec le groupe chiite ayant fait cinquante-huit morts côté libanais et quatre morts côté israélien. Près de 29 000 personnes ont par ailleurs été déplacées à l’intérieur des frontières libanaises pour fuir les zones de combat.
  • La Cisjordanie est également le théâtre d’un regain de violences, avec un bilan de 100 Palestiniens tués à ce jour depuis le 7 octobre. En plus d’une hausse d’attaques physiques perpétrés par des colons contre des Palestiniens, de violents heurts ont éclaté avec des soldats israéliens en marge de manifestations à la suite de l’explosion de l’hôpital Al-Ahli mais également ce vendredi, dans les villes de Jénine, Ramallah et Naplouse.

Elias Brugidou

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