Veille stratégique – Novembre 2020 (1/2)

Asie

Chine : le plan d’action ambitieux de Xi Jinping après 2022

Entre le 26 et le 29 octobre, le 5e plénum du 19e Congrès du Parti Communiste Chinois (PCC) s’est tenu à Pékin, réunissant plus de 300 membres du Comité central du PCC. Le président Xi Jinping y a dévoilé les grandes orientations du 14e plan quinquennal (2021 – 2025). À moyen terme, l’objectif du président est le progrès technologique et l’innovation, sésame pour l’indépendance du pays vis-à-vis des Etats-Unis. Toutefois, il a présenté des ambitions à plus long terme. Tout d’abord, il a mentionné la modernisation de l’armée à l’horizon 2027, date correspondant au centenaire de l’Armée Populaire de Libération. Il a annoncé vouloir bâtir un véritable « pays socialiste moderne » à l’horizon 2035. Concrètement, cet objectif implique la hausse continue du PIB/habitant grâce à une croissance annuelle d’environ 3,5%.

  • Tout laisse à penser que Xi Jinping se prépare à un troisième mandat, voire davantage. En effet, non seulement la réforme de la Constitution qu’il a fait passer en 2018 a mis fin à la limite de deux mandats de 5 ans, mais il est également d’usage de désigner au cours du 5e plénum la succession des dirigeants en place. Cette année, aucune modification de l’organigramme n’a été annoncée.
  • Xi Jinping tend également à renforcer son pouvoir au sein du PCC en se rendant seul compétent à en définir l’ordre du jour. Il s’agirait pour cela d’associer son nom au statut du dirigeant du parti, liant ainsi le destin du PCC à sa personne.
  • Le Comité central est une assemblée élue au sein du PCC qui décide des grandes orientations au niveau national en se réunissant une à deux fois par an à Pékin. Durant chaque plénum, les instances suprêmes du parti (Bureau politique et Comité permanent) présentent leurs travaux au Comité central et de nouveaux programmes sont approuvés.

Taïwan : troisième vente d’armes accordée par les Etats-Unis

Mardi 3 novembre, les Etats-Unis ont approuvé la vente à Taïwan de 4 drones tueurs MQ-9 « Reaper » fournis par General Atomics pour 600 millions de dollars afin de renforcer la défense de l’île face aux velléités chinoises. Il s’agit de la troisième grosse vente d’armes que l’administration Trump accorde en moins de trois semaines, portant le montant total des acquisitions d’armement possibles pour Taïwan à 4,8 milliards de dollars.

  • Le 26 octobre, Pékin était déjà monté au créneau contre ces ventes d’armes en annonçant des sanctions contre des entreprises, personnes et entités américaines impliquées dans ces contrats avec Taipei. Les géants Lockheed Martin, Raytheon et la branche défense de Boeing sont concernés. D’après la porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Zhao Lijian, ces ventes « violent gravement le principe d’une seule Chine et les trois communiqués conjoints sino-américains, et sapent la souveraineté et les intérêts de sécurité de la Chine ».
  • Mme Zhao Lijian fait ici référence aux fondements des relations sino-américaines, à savoir le Communiqué de Shanghai de 1972, ainsi que le Communiqué conjoint sur l’établissement de relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et les Etats-Unis d’Amérique et le Communiqué conjoint du 17 août promulgués successivement en 1978 et 1982. Ils énoncent notamment la reconnaissance par les Etats-Unis du gouvernement de la République Populaire de Chine comme l’unique gouvernement légal.

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Europe

Allemagne : l’autonomie stratégique européenne qualifiée d’« illusion »

Dans un article d’opinion publié le 2 novembre sur le site politico.eu, la ministre allemande de la Défense Annegret Kramp-Karrenbauer a qualifié l’autonomie stratégique européenne d’ « illusion », soulignant que les Européens ne seraient jamais capables de se substituer à Washington pour remplir le rôle crucial de « fournisseur » de sécurité. Tirant les conséquences de cette affirmation, elle a appelé les Etats-Unis à conserver l’Europe sous son parapluie nucléaire, et l’Allemagne à se doter des capacités budgétaires et militaires convenant à un partenaire nucléaire. L’acquisition des F/A-18 Super Hornet américains pour remplacer les chasseurs-bombardiers Tornado de la Bundeswehr est implicitement visée par cet appel. Contrairement à ces derniers, les F/A-18 Super Hornet peuvent en effet mettre en œuvre la bombe nucléaire tactique B-61 (une bombe nucléaire que les États-Unis mettent à la disposition de l’Alliance selon le principe dit de la « double clé »).

  • Cet article de la ministre de la Défense allemande fait éclater en plein jour les divergences franco-allemandes sur le thème de la politique européenne de défense. En effet, depuis son élection, le président français Emmanuel Macron n’a cessé de plaider en faveur du principe d’autonomie stratégique européenne.
  • Sur le thème du nucléaire, le président avait notamment proposé, lors d’un discours prononcé devant les stagiaires de l’Ecole de Guerre, un « dialogue stratégique » avec les partenaires européens afin d’évoquer le « rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective » – proposition qui, sans ouvrir la porte du partage de la dissuasion, en avait cependant laissé deviner les contours.

L’Union européenne perd du terrain en Libye face à l’influence croissante de la Turquie

Le ministère turc de la Défense a publié sur son compte plusieurs tweets pour annoncer le début de la formation des garde-côtes libyens. Cette formation serait dispensée dans le cadre d’un accord conclu entre Ankara et le gouvernement d’accord national (GAN) de Faïez Sarraj. Or, jusqu’à récemment, cette formation était délivrée par l’Union Européenne, dont la formation et l’entraînement des garde-côtes libyens, et l’accord signé avec Ankara pour la prise en charge de migrants et de réfugiés, sont les deux principaux volets de la politique migratoire. La Commission européenne avait ainsi débloqué 46,3 millions d’euros en 2017-2018 pour soutenir un programme de soutien, formation et équipement mené par les Italiens. Une douzaine de vedettes ont été fournies à Tripoli, et près de 400 garde-côtes ont été formés par l’opération Sophia.

  • Ce revirement, qui s’ajoute au soutien militaire d’Ankara au gouvernement de Tripoli contre le général Haftar, et au soutien de Tripoli au président Erdogan dans sa récente querelle avec Emmanuel Macron, inquiète les diplomates européens, qui y voient un signe de l’influence grandissante de la Turquie dans la région.
  • En outre, en contrôlant les garde-côtes libyens, Ankara acquerrait ainsi le deuxième des trois principaux courants d’immigration vers l’Europe, et renforcerait encore ses moyens de pression sur l’Union.

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Proche et Moyen-Orient

Accord pour l’application du cessez-le-feu en Libye

Mardi 3 novembre, les membres de la Commission militaire conjointe réunis à Ghadamès se sont entendus sur une feuille de route visant à faire appliquer l’accord de cessez-le-feu signé à Genève le 23 octobre dernier. Les pourparlers se sont tenus en présence de la diplomate américaine Stéphanie Williams, cheffe par intérim de la Mission d’appui des Nations Unies en Libye (Manul). À l’issue des négociations, cette dernière a déclaré que les parties s’étaient accordées sur la « mise en place d’un sous-comité militaire pour superviser le retrait des forces militaires vers leurs bases respectives et le départ des forces étrangères des lignes de front » et que la Commission militaire conjointe avait décidé de se réunir à Syrte dans les prochains jours où elle établira son siège.

  • La Libye est en proie à une guerre civile depuis 2014 et l’impossibilité de ses forces politiques d’organiser pacifiquement l’après Kadhafi. La mosaïque de groupes militaires et tribaux concurrents est dominée par la rivalité du Gouvernement d’union nationale basé à Tripoli et soutenu par la Turquie et le Qatar, avec le Parlement de Tobrouk et l’Armée nationale libyenne du maréchal Khalifa Haftar appuyés par la Russie, l’Egypte et les Emirats Arabes Unis. Après l’échec de la prise de Tripoli par l’ANL en juin 2020 et l’enlisement du conflit, les deux parties ont fini par s’entendre sur un cessez-le-feu. Elles sont chacune représentées par cinq délégués au sein de la Commission militaire conjointe chargée d’organiser l’application du cessez-le-feu.
  • La présence de la cheffe par intérim de la Manul atteste du réinvestissement onusien du dossier libyen après la démission de son prédécesseur libanais Ghassan Salamé en mars 2020. Motivé par un manque de moyens pour faire entendre la voix de l’ONU, le départ du diplomate n’a cependant toujours pas été formellement comblé faute d’entente entre les pays africains et les Etats-Unis.

Ouverture d’une liaison aérienne commerciale entre Dubaï et Tel Aviv

La compagnie aérienne émirienne Flydubai a annoncé l’ouverture d’une liaison quotidienne entre les aéroports de Dubaï et de Tel-Aviv à partir du 26 novembre prochain. Il s’agira de la première liaison aérienne commerciale régulière entre les deux villes.

  • Le lancement de cette nouvelle desserte est l’une des conséquences du rapprochement diplomatique entre Israël et les Emirats Arabes Unis annoncé au mois d’août et officialisé par les accords d’Abraham signés à Washington le 15 septembre.
  • Cette nouvelle mesure s’inscrit dans la lignée d’accords récents entre les deux pays favorisant des exemptions de visas et des coopérations dans les domaines scientifique et technologique.

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Amérique

Entrevue cubano-iranienne à La Havane

Vendredi 6 novembre, le ministre des Affaires étrangères cubain, Bruno Rodriguez, s’est entretenu avec son homologue iranien Mohammad Javad Zarif à La Havane. Ce dernier est arrivé en provenance de Caracas où il a assuré le régime de Nicolas Maduro de son soutien. Cette rencontre avait pour objet le renforcement de la coopération économique entre les deux pays face aux sanctions américaines. Mohammad Zarif a notamment assuré que celles-ci n’auraient aucun impact sur leurs échanges technologiques, scientifiques et énergétiques. Bruno Rodriguez a lui défendu le droit de son partenaire iranien à « un usage pacifique de l’énergie nucléaire ».

  • Cuba et l’Iran partagent une même animosité envers les Etats-Unis, qui sont à l’origine de sanctions économiques à leur encontre. La Havane est sous embargo américain depuis 1962 et celui-ci a encore été renforcé sous la présidence Donald Trump. L’Iran fait lui l’objet de sanctions internationales renforcées depuis le retrait américain de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en mai 2018.
  • Ces déclarations communes ont fait l’objet d’une critique via Twitter par le sous-secrétaire américain en charge de l’hémisphère occidental Michael Kozak, qui considère que ces deux pays n’ont en commun que des actions néfastes telles que des abus contre les droits de l’Homme, le « vol de la richesse du Venezuela » ou la « propagation de leur mauvaise influence dans le monde entier ». Néanmoins, l’administration américaine -obnubilée par le verdict de son élection présidentielle- n’a pas réagi davantage.

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Russie et ex-URSS

La Suède annonce un plan de modernisation militaire de grande ampleur

Le 14 Octobre, la Suède a annoncé une nouvelle loi visant à développer son armée de manière significative. Il s’agirait de la plus grande expansion militaire du pays depuis 70 ans. Le ministre de la Défense, Peter Hultqvist, explique cette décision par l’activité de plus en plus inquiétante de la Russie en mer Baltique. La loi vise à élever les dépenses militaires de 40% d’ici 2025, les portant à 1,5% du PIB. En outre, les forces armées devraient augmenter de 50%, passant de 60 000 à 90 000 personnes.

  • Fin septembre, la Suède avait accusé la Russie de violer ses eaux territoriales lorsque deux navires de guerre s’étaient brièvement rapprochés du sud du pays. La Suède s’est également plainte à plusieurs reprises des avions de combats russes s’approchant trop près de ses propres avions et violant l’espace aérien suédois.
  • Si la Suède n’est pas membre de l’OTAN, elle travaille de manière très étroite avec l’organisation militaire. Ainsi, en juin dernier la Suède a participé à l’exercice annuel de l’OTAN en mer Baltique, aux côtés de la Finlande (non membre également).

L’Arménie appelle la Russie à l’aide dans le conflit contre l’Azerbaïdjan

Face à la dégradation de la situation militaire fin octobre, le premier ministre arménien Nikol Pashinyan a contacté le président russe Vladimir Poutine afin de demander un soutien pour « assurer la sécurité de l’Arménie ». Cette demande s’appuie sur le Traité d’amitié, de, coopération et d’assistance mutuelle signé entre les deux pays en 1997. Le traité ne recouvre que l’Arménie proprement-dite et pas le territoire du Karabakh. Toutefois, le premier ministre arménien a justifié cette demande par le rapprochement des combats de la frontière arménienne. La Russie a assuré qu’elle « maintenait son engagement vis-à-vis de l’Arménie » et qu’en conséquence, si les combats venaient à traverser la frontière arménienne, la Russie « fournirait toute l’assistance nécessaire à Erevan ».

  • Les combats se sont concentrés ces derniers jours autour de la ville de Chouchi, deuxième plus grande ville du Haut-Karabakh. L’objectif de l’Azerbaïdjan étant de couper l’enclave arménienne de sa voie de ravitaillement avec l’Arménie. Haut-lieu de la culture azérie, la ville a également une importance symbolique pour l’Azerbaïdjan. Sa prise pourrait signer un tournant dans le conflit.
    En plus de ce traité, l’Arménie et la Russie sont tous deux membres de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC). Dans le cadre de ce traité, la Russie possède plusieurs bases en Arménie qui abritent environ 5 000 soldats.

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Afrique

Mali : « neutralisation » d’une cinquantaine de jihadistes

Vendredi 30 octobre, une intervention des forces spéciales françaises [task force Sabre] appuyées par les forces de l’opérations Barkhane a permis d’éliminer plus de cinquante jihadistes d’Ansarul Islam dans la région de Boulikessi. L’opération a également permis de récupérer des explosifs, une veste piégée et des moyens de transmission. Le groupe s’apprêtait à attaquer une garnison malienne au centre-ouest du Mali avant d’être repéré.

  • Cette action s’inscrit dans une campagne importante menée par l’opération Barkhane depuis le début du mois d’octobre dans la zone dite “des trois frontières”, entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso. 3 000 soldats français y sont engagés en coopération avec les forces armées du G5 Sahel (Tchad, Niger, Burkina Faso, Mali et Mauritanie) et les forces estoniennes de l’opération Takuba.

Nouvel échec dans les négociations tripartites entre l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie à propos du barrage Nahda

Mercredi 4 novembre, de nouvelles négociations égypto-soudano-éthiopiennes à propos du barrage éthiopien Nahda (« Renaissance ») ont échoué. Celles-ci avaient été entamées le 1er novembre avec pour seul objectif annoncé de définir la base et la durée des futurs pourparlers. Mais le désaccord profond des parties a précipité la fin de négociations, initialement prévues pour durer jusqu’au 7 novembre.

  • En 2013, l’Ethiopie a lancé la construction d’un gigantesque barrage -le plus grand d’Afrique- sur le Nil Bleu. Depuis, le Soudan et l’Egypte, dont le fleuve est une source d’eau et d’énergie capitale, craignent d’être dépendants des manœuvres éthiopiennes effectuées en amont. Un accord avait été trouvé cet été concernant l’échelonnage du remplissage du barrage mais la question de la gestion du débit en période de sécheresse reste toujours irrésolue.
  • L’Egypte exige la conclusion d’un accord contraignant obligeant l’Ethiopie à diminuer son niveau de retenue d’eau en période de sécheresse. Au-delà, il s’agit pour Le Caire de s’affirmer afin d’espérer décourager d’autres velléités de construction de barrages sur le Nil, lesquelles pourraient accroître encore davantage sa dépendance aux choix d’exploitation de pays en amont du fleuve.

Comité de rédaction

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