Veille stratégique – Décembre 2020 (1/2)

PROCHE ET MOYEN-ORIENT

Egypte : l’exercice militaire conjoint « Saif Al-Arab » réunit six Etats arabes 

Jeudi 26 novembre se terminait l’exercice militaire « Épée des Arabes » sur la base militaire Mohamed Naguib en Egypte, ainsi que dans certaines zones du commandement militaire du Nord. L’Egypte, l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, la Jordanie, Bahreïn et le Soudan ont participé à des manœuvres terrestres, aériennes et navales conjointes, d’après un communiqué publié par les forces armées égyptiennes. 

  • L’exercice vise à développer et à renforcer les relations militaires dans la région. « Saif Al-Arab » est considérée comme l’une des manœuvres les plus sophistiquées réalisées à l’échelle régionale. 
  • Les premières phrases de l’exercice comprenaient la tenue d’une conférence de coordination entre les pays participants afin d’unifier les concepts, d’échanger les expériences de formation et déployer les unités participantes. Après plusieurs conférences théoriques et pratiques ainsi que la mise en place d’un projet tactique commun, des manœuvres militaires ont été réalisées en Egypte.

Assassinat du présumé “père de la bombe nucléaire iranienne” : l’Iran accuse Israël

Vendredi 27 novembre, Mohsen Fakhrizadeh a été assassiné dans une attaque au véhicule piégé suivie d’une fusillade contre sa voiture à l’est de Téhéran. Dans un document de l’AIEA paru en 2015, ce scientifique et officier au sein du corps des Gardiens de la Révolution islamique avait été désigné comme chef du projet baptisé AMAD menant dans les années 2000 des « activités à l’appui d’une dimension militaire possible ». Le ministère iranien de la Défense accuse Israël d’être derrière cet assassinat. En 2018, Benjamin Netanyahu avait désigné Dr Mohsen Fakhrizadeh comme chef du volet militaire du programme nucléaire iranien. 

  • Cette attaque compte parmi cinq autres assassinats de scientifiques iraniens ces treize dernières années. Tous étaient en lien avec le programme nucléaire iranien et collaboraient avec Mohsen Fakhrizadeh. Ces opérations sont présumées être le fait du Mossad.
  • Depuis le retrait des Etats-Unis de l’accord de Vienne, l’Iran s’est affranchi de ses engagements sur son programme nucléaire. Israël ne cesse d’exprimer ses inquiétudes quant au possible franchissement de la « ligne rouge » par l’Iran. Cet événement survient avant l’investiture de Joe Biden à la présidence des Etats-Unis, qui pourrait signer un possible retour américain dans l’accord de 2015 et une levée des sanctions économiques contre Téhéran.
  • Dans le même temps, le Conseil iranien des Gardiens de la constitution a approuvé un projet de loi visant à mettre fin aux inspections de l’AIEA sur ses sites nucléaires et à produire et stocker au moins 120 kg d’uranium enrichi à 20% par an. Le texte attend d’être approuvé par le président iranien, qui l’a toutefois qualifié de “nuisible”.

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RUSSIE ET EX-URSS

Déploiement de missiles russes dans le Pacifique

Mardi 1er décembre, la Russie a annoncé avoir déployé son système de défense constitué de missiles S-300V4 dans des îles dans le Pacifique au nord du Japon. Ces îles sont l’objet d’un contentieux territorial entre le Japon et la Russie, cette dernière les appelant « îles Kouriles » tandis que le Japon fait référence aux « territoires du Nord ». Le gouvernement japonais, par la voix de son Secrétaire général du Cabinet Katsunobu Kato, a vigoureusement protesté contre « l’escalade militaire russe » dans la région. 

  • Les îles Kouriles sont depuis longtemps au centre de la relation conflictuelle entre le Japon et la Russie. Elles ont été annexées de facto par l’Union Soviétique à la fin de la Seconde guerre mondiale. Si une déclaration de 1956 entre le Japon et la Russie prévoyait la reprise des relations diplomatiques ainsi qu’un transfert d’une partie des îles vers le Japon, elle n’a pas été concluante. En effet, ni l’URSS, ni la Russie actuelle n’a réussi à conclure un traité de paix formel avec le Japon. 
  • Depuis, les dirigeants japonais et russes se rencontrent régulièrement pour négocier le statut des îles. Les dernières discussions ont eu lieu en 2019. Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, affirmait alors que la souveraineté russe sur les îles n’était « pas négociable ».

https://en.wikipedia.org/wiki/Kuril_Islands_dispute#/media/File:Demis-kurils-russian_names.png

La nouvelle présidente Moldave appelle au retrait des troupes russes de Transnistrie

Maia Sandu, élue présidente de la Moldavie le 15 novembre dernier, a annoncé lors de sa première conférence de presse que les troupes russes présentes en Transnistrie – une région séparatiste à l’est du pays – n’avaient jamais eu la permission d’être présentes sur le territoire moldave. Elle a également appelé au remplacement de la force de maintien de la paix russe par des civils observateurs de l’OSCE.

  • Après la chute de l’Union soviétique, la Transnistrie déclara son indépendance et  proclama la « République moldave du Dniestr » (RMD). Si le gouvernement moldave proposait initialement un statut particulier à la région, les dirigeants de celle-ci souhaitaient rejoindre la Fédération de Russie. Une guerre entre l’armée moldave et les milices transnistriennes – soutenues par la 14e armée russe présente sur place – s’en est ensuivie. La Moldavie ne parvenant pas à conquérir le territoire dissident, un cessez-le-feu sous l’égide de la Russie fut signé en 1992, donnant une indépendance de facto à la RMD et instaurant une mission de maintien de la paix russe. 
  • Aujourd’hui, le territoire n’est reconnu par aucun des membres de l’ONU et est officiellement considéré comme une région autonome de la Moldavie. Il reste un point de relai clé pour la Russie en Europe de l’Est et la bonne marche de son économie dépend en grande partie de financements russes.

https://www.lemonde.fr/europe/article/2014/03/20/la-transnistrie-sera-t-elle-la-prochaine-crimee_4385073_3214.html

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AFRIQUE

L’armée fédérale éthiopienne se rend maîtresse de la capitale du Tigré

Samedi 28 novembre, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a annoncé la prise de Makalé – capitale du Tigré – par l’armée fédérale éthiopienne. Cette entreprise semble avoir été favorisée par l’appui des forces militaires érythréennes et de milices d’origine Amhara. Les combattants du Front populaire de libération du Tigré (FPLT) se sont repliés hors de la capitale et poursuivent les combats sans plus tenir de ville d’importance. Un mandat d’arrêt visant 76 dirigeants tigréens a été émis par le gouvernement fédéral éthiopien qui entend « reconstruire ce qui a été détruit » et affirmer définitivement son autorité au Tigré.

  • La perte de Makalé est un coup dur pour le FPLT qui perd ainsi le contrôle de l’administration régionale et des médias locaux. De ce fait, le conflit consistant à l’origine en une opposition frontale semble voué à évoluer en guérilla. La promesse gouvernementale de cesser immédiatement les combats paraît prématurée. 
  • La mainmise du gouvernement fédéral sur une partie importante du Tigré a permis la signature entre l’ONU et le ministre éthiopien de la Paix d’un accord permettant l’accès du personnel onusien aux populations locales privées de tout approvisionnement depuis le 4 novembre. Dans cette région, plus de 600.000 réfugiés dépendaient déjà de l’aide alimentaire fournie par l’ONU avant l’éclatement du conflit.

Bombardements de camps militaires français et onusiens au Mali

Lundi 30 novembre, les camps militaires accueillant des forces de l’opération Barkhane et de la mission onusienne (Minusma) de Gao, Kidal et Ménaka ont été visés par des tirs d’obus et de roquettes. Aucune victime n’est à déplorer et seule la partie réservée à la Minusma au camp de Kidal a subi des dommages matériels importants. Cette attaque a été attribuée au Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (GSIM) par l’organe de propagande jihadiste Thabat (« Stabilité »). Le GISM, quant à lui,est resté silencieux, conformément à une habitude prise depuis plusieurs mois.

  • Tandis que les forces françaises sont investies d’une mission de lutte active contre les groupes jihadistes, la Minusma est chargée d’assurer le maintien de la paix au Mali. Forte de 14.000 casques bleus, celle-ci s’est vue renforcée jeudi 3 novembre par l’arrivée d’une centaine de militaires britanniques.
  • L’armée malienne est également engagée dans la lutte contre le jihadisme sur son territoire, notamment dans le cadre du G5 Sahel. Pour renforcer ses capacités d’action, elle vient d’annoncer l’acquisition d’un Airbus C295 d’occasion auprès d’Airbus Defence&Space. Livré en 2021, il s’ajoutera au premier exemplaire de l’avion acquis par l’armée malienne en décembre 2016. 

Massacre par Boko Haram dans le Nord-Est du Nigéria

Samedi 28 novembre, au moins 110 agriculteurs ont été tués dans le village de Koshobe, dans l’Etat du Borno, au Nord-Est du Nigéria. L’organisation jihadiste Boko Haram a revendiqué ce massacre mardi 1er décembre. Cette tuerie est la plus importante de l’année au Nigéria. Elle a eu lieu le jour symbolique des premières élections dans l’Etat du Borno depuis le début de l’insurrection jihadiste en 2009. 

  • Les habitants de cet État sont pris au piège de la menace jihadiste. Ceux qui fuient leurs villages pour des camps de réfugiés sont poussés par l’Etat à y retourner car celui-ci ne peut subvenir à leurs besoins alimentaires. 
  • Le Nigéria est violemment touché par la crise économique liée aux mesures sanitaires pour endiguer l’épidémie de Covid-19. Le chômage des jeunes atteint 40% et fait craindre le renfort de Boko Haram ou de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest. 

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AMÉRIQUE

Les Etats-Unis retirent leurs forces armées de Somalie

Vendredi 4 décembre, le président américain Donald Trump a annoncé le retrait de Somalie des troupes américaines d’ici janvier 2021. Au nombre de 700, celles-ci conseillent l’armée somalienne dans sa lutte contre le mouvement jihadistes des jeunes combattants ou Chabab (« jeunes » en arabe). L’ampleur de ce retrait est à nuancer dans la mesure où une partie importante des effectifs américains en Somalie devrait être redéployée dans les pays voisins. Les Etats-Unis conserveront donc la capacité d’intervenir rapidement sur le sol somalien pour mener des opérations de contre-terrorisme.

  • Cette annonce s’inscrit dans la lignée des retraits ordonnés par Donald Trump en Afghanistan et en Irak, conformément à sa promesse de « mettre un terme aux guerres sans fin ». Dans ces deux pays, les effectifs américains devraient être ramenés à 2500 hommes. 
  • Il n’est pas improbable que Joe Biden, successeur de Donald Trump au 20 janvier 2021, confirme ces retraits. Le président élu a en effet signalé à plusieurs reprises qu’il était favorable à une diminution des effectifs militaires américains engagés dans des pays en proie à des « guerres éternelles ». 

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EUROPE

La Turquie isolée lors d’une réunion de l’Otan

La réunion virtuelle des ministres des Affaires étrangères de l’Otan devait être dédiée à une discussion sur un nouveau rapport portant sur la transformation de l’Otan dans les dix prochaines années. Mais les accusations inattendues du secrétaire d’Etat américain Michael Pompeo contre l’allié turc en ont fortement infléchi l’angle. M. Pompeo a notamment souligné la responsabilité de la Turquie dans l’attisement des tensions en Méditerranée avec la Grèce et la France, et son rapprochement suspicieux avec la Russie (marqué par l’achat d’un système de défense anti-missile mobile S400 russe non inter-opérable avec les systèmes otaniens). Le ministre des Affaires étrangères turc Mevlüt Çavuşoğlu a aussitôt répliqué en accusant les Etats-Unis de se ranger aveuglément aux côtés de la Grèce dans les conflits régionaux, de soutenir les Kurdes en Syrie, ou encore d’avoir aggravé le conflit du Haut-Karabakh en soutenant l’Arménie au côté de la France.

  • L’échange musclé entre les deux Etats a mis en lumière les dissensions au sein de l’Alliance transatlantique, et l’isolement de la Turquie. Les propos du secrétaire d’Etat américain ont été immédiatement soutenus par la France et son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
  • Les Etats de l’Union européenne doivent pour leur part décider le 10 décembre de l’adoption de nouvelles mesures contre le comportement d’Ankara en Méditerranée et sa violation de l’embargo des Nations unis sur les livraisons d’armes à la Libye. Si la Commission européenne a déjà préparé un certain nombre de sanctions, l’opposition de l’Allemagne interdit pour l’instant leur adoption, qui nécessite un accord à l’unanimité.

Le premier examen annuel coordonné de défense révèle l’insuffisance des budgets dédiés à la défense et aux technologies

Le premier examen annuel coordonné de défense (coordinated annual review on defence, CARD) a été présenté vendredi 20 novembre aux ministres européens de la Défense. Parmi les conclusions clefs du rapport, le risque que fait peser sur l’autonomie stratégique européenne les dépenses insuffisantes dans les domaines de la défense et de la technologie. Les sondages menés dans le cadre du rapport révèlent également que, dans le domaine de la défense, les intérêts européens sont placés en troisième, après les intérêts nationaux et les intérêts de l’Otan, et que la compréhension de ce que représente l’autonomie stratégique demeure très inégale selon les pays. Enfin, le rapport souligne que l’UE n’a toujours pas complètement récupéré des coupes faites dans les budgets dédiés à la défense à la suite de la crise de 2008, et que les systèmes d’armes des Etats membres sont toujours trop fragmentés.

  • Proposé en novembre 2016 et adopté le 18 mai 2017, le CARD a pour objectif de favoriser le développement des capacités pour lesquelles des lacunes ont été révélées, d’approfondir la coopération en matière de défense et de garantir une utilisation plus optimale, ainsi qu’une plus grande cohérence, des plans de dépenses dans le domaine de la défense. 

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ASIE

Chine : le décollage réussi de la fusée Longue Marche 5

Le 23 novembre, la fusée Y5 Long March-5 a décollé avec succès du centre de lancement spatial de Wenchang, dans la province chinoise du Hainan. En direction de la Lune, elle transporte la sonde Chang’e-5, chargée de ramener sur Terre des échantillons lunaires. Si la mission réussit, la Chine sera le troisième pays à rapporter des échantillons lunaires après les Etats-Unis et l’URSS  (la sonde soviétique Luna-24 fut la dernière à accomplir cette prouesse en 1976).

  • En 2016, la mise en orbite du satellite de télécommunication Shijian 17 a marqué le début du programme spatial Longue Marche. Depuis, les succès technologiques se sont enchaînés avec la mise en orbite du satellite militaire Shijian 20 en 2019 – effaçant ainsi l’échec de Shijian-18 deux ans plus tôt -, l’envoi d’un vaisseau spatial habité en mai 2020 et celui de la sonde martienne Tianwen-1 en juillet.
  • Grâce à ce programme, Pékin ambitionne de devenir une superpuissance spatiale autonome. Exclu de la Station spatiale internationale par une loi américaine en 2011, le pays a prévu de construire sa propre station, Tiangong, d’ici 2025. Le prochain lancement Longue Marche en 2021 est destiné à installer son module central.
  • A court et moyen terme, la stimulation de l’économie grâce à un investissement massif (2e budget mondial après les Etats-Unis, soit 7,2 milliards d’euros en 2017) dans les industries nationales s’accompagne d’un objectif stratégique puisque les outils de ce programme spatial sont à double usage. La Chine espère, à long terme, pouvoir profiter des ressources extra-terrestres, telles que les métaux rares des astéroïdes. 

Japon et Corée du Sud : la visite du ministre chinois des Affaires étrangères

A Tokyo, les 24 et 25 novembre, avec le premier ministre Yoshihide Suga, puis à Séoul, avec le président Moon Jae-in, le chef de la diplomatie chinoise Wang Yi s’est montré volontaire pour approfondir la coopération régionale. Ses deux interlocuteurs y ont répondu favorablement, notamment au sujet du changement climatique, de la lutte contre la Covid-19, de l’organisation des jeux olympiques de 2021 à Tokyo et de 2022 à Pékin, et à propos de l’ accord de libre-échange incluant les pays d’Asie du Sud-Est.

  • Le président-élu Joe Biden ayant exprimé sa volonté de renouer le dialogue avec ses alliés asiatiques, la Chine semble profiter de la transition mouvementée du pouvoir américain pour renforcer ses liens avec ses importants partenaires commerciaux, mais également pour dissiper la défiance suscitée par son attitude sur les questions territoriales à Hongkong, Taïwan et en mer de Chine.

Par Théo Bruyère-Isnard, Gaspard Béquet, Claire Mabille, Rhéa Fanneau de la Horie et Maëlle Panza

Comité de rédaction

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