FRANCE
Fin de la prééminence du volet sécuritaire dans la stratégie de la France en Afrique
Lundi 27 février, Emmanuel Macron a présenté la stratégie diplomatique et militaire de la France en Afrique dans les quatre ans à venir. La ligne directrice annoncée par le Président français est de « bâtir une nouvelle relation responsable, équilibrée et réciproque » tout en refusant toute « compétition » stratégique imposée sur le continent. Néanmoins, le chef d’Etat a critiqué le patronat français pour sa logique de rente dans les activités et un manque d’audace face à la concurrence. Reconnaissant la « responsabilité exorbitante » de la France en une décennie d’engagement militaire au Mali, Emmanuel Macron a proposé un « nouveau modèle de partenariat » pour mettre fin à la prédominance du volet sécuritaire dans les relations avec les Etats africains. Celui-ci passe par deux axes principaux que sont (1) la reconfiguration de l’empreinte militaire française avec une diminution visible des effectifs français et une augmentation des effectifs des partenaires africains et (2) l’accroissement de l’offre de formation et d’accompagnement pour permettre aux armées des pays africains de gérer leur propre sécurité et d’y investir davantage.
- A l’issue de cette prise de parole, Emmanuel Macron a effectué une tournée dans quatre États d’Afrique centrale. Accueilli à Libreville par son homologue gabonais, Ali Bongo, le président français a également échangé avec le président de la République centrafricaine, Faustin-Archange Touadéra, en marge du One Forest Summit. En Angola, le chef de l’Etat a participé à un forum économique centré sur le secteur agricole en présence d’une cinquantaine d’industriels français dans l’optique d’attirer des investissements. A Brazzaville, le rencontre entre Emmanuel Macron et Denis Sassou-Nguesso, président du Congo, n’a duré que quelques heures et a été jugée trop courte par de nombreux Congolais. En République démocratique du Congo, en proie à de fortes tensions avec le Rwanda, la coopération en matière de santé et de culture était au cœur des discussions.
- Cette volonté de tourner la page de la « Françafrique » fait écho au discours de Ouagadougou de novembre 2017, qui initiait une nouvelle relation entre la France et les pays du continent africain, fondée sur une relation partenariale. Quatre ans plus tard, la prise de parole du président français s’inscrit dans un contexte tendu, marqué par le retrait forcé des troupes françaises du Mali et du Burkina Faso, par un sentiment anti-français de plus en plus présent et par la présence croissante de compétiteurs stratégiques de la France sur le continent africain comme la Russie ou la Chine.
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EUROPE
Facilité européenne pour la paix : un milliard d’euros d’obus à destination de l’Ukraine ?
Jeudi 2 mars, la Commission européenne et le Service européen pour l’Action extérieure – service diplomatique de l’UE – ont conjointement proposé un nouveau plan d’action relatif aux munitions. Plus précisément, le haut représentant européen pour les Affaires étrangères Josep Borell a enjoint les États membres à consacrer un milliard d’euros issu de la Facilité européenne pour la paix (FEP) afin d’acheter et de fournir à l’armée ukrainienne 250 000 obus de 155 mm. Cette proposition succède à la sonnette d’alarme tirée par le haut représentant lors d’une conférence de presse aux côtés de Dmytro Kuleba, chef de la diplomatie ukrainienne, ce 21 février : « nous devons mobiliser rapidement les moyens dont nous disposons et agir avec ce que nous avons ». Ce nouveau plan d’action fera l’objet de négociations avant d’être officiellement proposé aux ministres des Affaires étrangères et de la Défense des États membres le 20 mars et aux chefs d’États/de gouvernement le 23 et 24 mars.
- La Facilité européenne pour la paix (FEP) est un instrument extrabudgétaire visant à soutenir les coûts militaires et/ou relatifs à la défense des États membres de l’UE et de leurs partenaires pour consolider la paix et renforcer la sécurité internationale. La FEP a été dotée de 5,7 milliards d’euros pour la période 2021-2027 dont 3,5 milliards ont déjà été consacrés au soutien à l’armée ukrainienne.
- Ce projet visant à soutenir l’artillerie ukrainienne face aux récents bombardements aériens russes se heurte toutefois à la réalité industrielle : les stocks européens s’émacient fortement depuis le début du conflit russo-ukrainien. Afin de contrer ce phénomène, Josep Borell promeut la centralisation des achats sous l’égide de l’Agence européenne de défense. Cette politique des achats communs sera défendue par Thierry Breton, responsable du marché intérieur au sein de la Commission européenne, lors d’une réunion devant les ministres de la Défense des États membres le 7 mars. Cette proposition fait écho aux débats concernant l’European Defence Industry Reinforcement through common Procurement Act (EDIRPA), un instrument européen ayant vocation à faciliter les acquisitions conjointes.
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AMÉRIQUES
Joe Biden en Europe à l’occasion du premier anniversaire de l’attaque russe
Après une visite surprise à Kiev, le président américain Joe Biden s’est rendu les 21 et 22 février en Pologne afin de rencontrer son homologue polonais Andrzej Duda. Joe Biden était notamment accompagné de sa vice-présidente, Kamala Harris et de son secrétaire d’Etat, Anthony Blinken. Le président américain a déclaré que le soutien de son pays “à l’Ukraine ne faiblira pas, l’OTAN ne sera pas divisée, et nous ne nous fatiguerons pas”. Par ailleurs, le mercredi 22 février à Varsovie, Joe Biden a souhaité affirmer son soutien indéfectible aux dirigeants des Neuf de Bucarest (B9) en les rencontrant en présence du secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg.
- La rencontre avec le B9, groupe d’alliés de l’Otan du flanc oriental de l’Europe (Bulgarie, République Tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Roumanie et Slovaquie) s’est déroulée en marge de différentes réunions officielles auxquelles les Etats-Unis devaient prendre part fin février, comme la 59ème Conférence de Munich sur la sécurité, forum annuel consacré aux questions de sécurité internationale (voir dans notre précédente veille).
- Ces rencontres étaient l’occasion pour les représentants américains de démentir tout ralentissement de l’aide, de raffermir les prises de position ainsi que de multiplier les déclarations belliqueuses à l’encontre de Vladimir Poutine à l’approche du premier “anniversaire de l’agression russe à l’égard de l’Ukraine”, le 24 février 2022.
- L’aide fournie par les États-Unis à l’Ukraine est toujours plus importante. En 2023, ce sont 43 milliards de dollars d’aide militaire, humanitaire et économique qui ont été budgétés en sus des 50 milliards déboursés l’an dernier.
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RUSSIE/NEI
La Russie suspend sa participation à l’accord New Start
Lors d’un discours devant l’Assemblée fédérale russe mardi 21 février, le président Vladimir Poutine a annoncé la suspension de l’accord bilatéral New Start, signé en 2010 avec les Etats-Unis, qui devait permettre le désarmement nucléaire des deux pays. Ce dernier a notamment suggéré que l’OTAN, en particulier la France et la Grande-Bretagne qui disposent également d’arsenaux nucléaires, rejoigne l’accord New Start pour rendre le traité plus équitable. Dans ce même discours, le président russe a accusé Washington d’aider Kiev à moderniser ses drones et a demandé le retrait des soldats et des équipements de l’OTAN sur le territoire ukrainien. Le secrétaire général de l’OTAN Jens Stollenberg et le chef de la diplomatie de l’UE Josep Borrell ont réagi s’inquiétant d’un monde plus dangereux, tandis qu’Antony Blinken, chef de la diplomatie étatsunienne, qualifie la décision de « très décevante et irresponsable ».
- Le traité bilatéral New Start, signé en 2010 par les Etats-Unis et la Russie, devait permettre la réduction des armes nucléaires stratégiques en limitant les arsenaux respectifs des deux pays à 1550 ogives et 800 lanceurs. Cela concerne notamment les missiles balistiques intercontinentaux. En outre, le traité prévoyait l’inspection régulière des sites d’expérimentation nucléaire et la notification en amont des tirs d’exercice de missiles. En août 2022, Moscou avait déjà suspendu les inspections américaines, invoquant des entraves à ses propres demandes d’inspections aux Etats-Unis. Le 1er février 2023, le Kremlin avait accusé les Etats-Unis de détruire le « cadre juridique » du traité New Start en faisant pression par l’intermédiaire de l’OTAN.
- Deux jours plus tard, le 23 février, l’Assemblée générale de l’ONU a voté une résolution non-contraignante demandant à Moscou le retrait immédiat de ses troupes en Ukraine, pour viser le chemin « d’une paix juste et durable ».
Le territoire russe visé par de nombreuses incursions tandis que l’étau se resserre à Bakhmout
Jeudi 2 mars, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé une attaque terroriste réalisée par un commando dans l’oblast russe de Briansk, région frontalière à l’Ukraine, faisant plusieurs morts. Le groupe néonazi russe d’extrême-droite « Corps des volontaires russes » (RDK), qui a combattu auprès de l’armée ukrainienne, a revendiqué cette attaque sur les réseaux sociaux. Pourtant, Kiev nie l’avoir commanditée, tout comme elle a nié les attaques de drones sur le territoire russe de cette même semaine. Sur le front, l’armée ukrainienne peine à défendre ses positions sur Bakhmout, qui se fait peu à peu encercler par les forces russes, selon le groupe paramilitaire russe Wagner. Les frappes s’intensifient également autour du Dniepr, dans la région de Zaporijia, où un bâtiment résidentiel a été touché le 2 mars, faisant 7 morts.
- La Russie fait face depuis le début de la semaine du 27 février à de nombreuses attaques par drones sur son territoire, qu’elle attribue aux forces ukrainiennes. Parmi ces attaques, une raffinerie de pétrole dans la ville portuaire de Touapsé, près de la mer Noire, aurait été endommagée et un drone aurait été abattu dans la région de Moscou mardi 28 février. Les bases arrière de l’armée russe à la frontière avec l’Ukraine sont par ailleurs régulièrement bombardées.
- De nombreuses personnalités pro-guerre demandent davantage de moyens humains et capacitaires sur le front. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov exige l’imposition de la loi martiale dans tout le sud de la Russie. Le chef de Wagner, Evgueni Prigojine, est allé jusqu’à publier une photographie des cadavres d’une cinquantaine de combattants russes mercredi 22 février pour dénoncer le manque de munitions. Dans une vidéo sur le front de Bakhmout, il affirme même que « des centaines de milliers de soldats sont morts », contestant de fait les chiffres officiels de 6 000 morts. Ce genre de révélations est passible de prison en Russie.
- Côté ukrainien, le président Volodymyr Zelensky a choisi de célébrer, vendredi 24 février et jour anniversaire de l’invasion, « l’année de l’invincibilité ». Selon lui, cette deuxième année du conflit marquera la victoire « inévitable » de Kiev.
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AFRIQUE
Le Burkina Faso dénonce l’accord d’assistance militaire signé en 1961 avec la France
Mardi 28 février, le ministère burkinabé des affaires étrangères a annoncé à Paris la caducité de l’accord d’assistance militaire technique signé le 24 avril 1961 entre les deux pays. Cette déclaration fait suite à la fin des opérations de la Task Force française « Sabre » sur le sol burkinabè depuis le 19 février dernier et au retrait total des forces armées françaises du pays (cf. veille n°12).
- Cet accord d’assistance militaire prévoyait notamment des appuis financiers de la France au Burkina Faso, l’envoi de matériels et des formations ponctuelles à l’armée burkinabé. Ce type d’accord avait été signé par la République française avec la plupart de ses anciennes colonies en Afrique au lendemain de leurs indépendances.
- Le Burkina Faso affirme sa volonté de trouver d’autres partenaires dans sa lutte contre la menace djihadiste qui frappe son territoire depuis 2015. Le 17 février dernier, le pays a subi l’une de ses attaques les plus violentes de la part de groupes terroristes, ayant causé la mort de 51 soldats burkinabè.
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ASIE
La Chine propose un plan de paix pour un « règlement politique » du conflit en Ukraine
Le 23 février dernier, le ministère des Affaires étrangères chinois a publié sur son site la « position de la Chine sur le règlement politique de la crise ukrainienne ». Son plan en douze points prévoit notamment l’arrêt des combats et le maintien des positions russes sur un cinquième des lignes actuelles, ainsi que la levée des sanctions contre Moscou tout en garantissant le respect de la souveraineté des deux États. En outre, ce document appelle à promouvoir la reconstruction du pays, à faciliter la libre exportation des céréales et à abandonner toute menace ou emploi d’armes nucléaires. En réaction à la publication de ce plan de paix chinois, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a déclaré qu’il ne fallait pas « rejeter » ce document bien qu’il le considère plus comme une « liste de considérations » qu’un plan « opérationnel ». Cependant, pour le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, la Chine manque de crédibilité puisqu’elle est incapable « de condamner l’invasion illégale en Ukraine ».
- Par son rôle au Conseil de Sécurité et ses moyens d’influence sur Moscou, la Chine s’investit en médiatrice du conflit. Quelques heures plus tôt pourtant, Pékin s’abstenait concernant la résolution appelant la Russie à retirer immédiatement ses troupes d’Ukraine, à l’Assemblée générale des Nations Unies. La veille, le directeur de la commission des affaires étrangères du comité central du Parti communiste chinois, Wang Li, rendait visite au Président Vladimir Poutine pour témoigner de « l’amitié solide » qu’entretient son pays avec la Russie.
- Tirant jusqu’alors un certain bénéfice économique de la crise en Ukraine, la Chine craint une déstabilisation générale de la situation, préjudiciable à son développement. En composant entre un soutien mesuré à Moscou et en se faisant l’avocate de l’intégrité territoriale des États, elle renforce son influence dans le « Sud global », union d’États s’opposant à ce que Vladimir Poutine appelle l’« Occident collectif ».
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AFRIQUE DU NORD/MO
L’Iran “à moins de douze jours” d’obtenir l’arme nucléaire ?
Le chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, s’est rendu vendredi 3 mars en urgence à Téhéran, à la suite de la détection par l’AEIA en début de semaine de particules d’uranium enrichies à 83,7 % (soit un peu moins des 90 % nécessaires pour produire une bombe nucléaire) au niveau de l’usine souterraine de Fordo, située à une centaine de kilomètres au sud de la capitale iranienne. Au sujet de cet incident, les autorités iraniennes ont invoqué en guise de justification des “fluctuations involontaires” au cours du processus d’enrichissement, assurant “n’avoir pas fait de tentative pour enrichir au-delà de 60 %”, seuil maximal autorisé. La France, par la voix de la porte-parole du ministère des Affaires étrangères Anne-Claire Legendre, a évoqué une “évolution sans précédent et extrêmement grave”.
- La dernière visite de M. Grossi en Iran remonte à mars 2022, dans un contexte où une reprise apaisée des négociations entre les puissances occidentales et l’Iran sur le dossier nucléaire apparaissait envisageable. Depuis, le rapprochement géopolitique et militaire entre l’Iran et la Russie dans le contexte du conflit ukrainien a largement rebattu les cartes.
- Le chef de la CIA, William Burns, s’était ainsi inquiété le 27 février dernier de l’avancée fulgurante du programme nucléaire iranien, jugeant qu’il « suffirait [à l’Iran] de quelques semaines pour atteindre les 90 %, s’il décidait de franchir cette ligne”. Plus récemment encore, le Département de la Défense américain estimait le “breakout time” en Iran à moins de douze jours.
- Cependant comme l’évoque Héloïse Fayet de l’Institut français des relations internationales (Ifri), “cela ne signifie pas que Téhéran aura l’arme nucléaire d’ici deux semaines car d’autres étapes sont nécessaires”, en particulier la militarisation et la miniaturisation de l’uranium enrichi à 90%, processus qui à ce jour “prendrait encore un à deux ans”.
Frappes de drones turcs contre des combattants du PKK
Deux frappes de drones, réalisées respectivement le lundi 27 février et le mercredi 1 mars, ont été réalisées par l’armée turque dans le nord de l’Irak à l’encontre de combattants yézidis affiliés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). D’après une déclaration des autorités du Kurdistan irakien, les frappes auraient au total tué cinq personnes affiliées aux Unités de résistance de Sinjar, une milice yézidie affiliée au PKK.
- Le Parti des travailleurs du Kurdistan est une organisation politique armée kurde, considérée comme terroriste par plusieurs acteurs internationaux, dont la Turquie, l’Australie, le Canada, les États-Unis, la Nouvelle-Zélande, l’Union européenne et le Royaume-Uni.
- Les Unités de résistance de Sinjar sont une milice yézidie formée en 2014 à la suite de la bataille de Sinjar, qui oppose notamment les peshmergas kurdes à l’État islamique. Au terme de cette bataille, les combattants du PKK repoussent les djihadistes et mettent fin à de nombreuses exactions commises par Daech à l’encontre des civils de Sinjar, étendant ainsi l’influence de l’organisation auprès de la population yézidie.
- La Turquie dispose de plusieurs installations militaires dans le nord de l’Irak, activement mises à contribution dans sa guerre contre le PKK, et a effectué à plusieurs reprises des frappes contre le groupe dans le nord de l’Irak. Début février, huit roquettes avaient visé une base militaire turque dans le nord de l’Irak, sans faire de victimes. Depuis le 10 février, le PKK a néanmoins annoncé la suspension de ses « opérations » en Turquie, après le séisme meurtrier ayant frappé le pays.
Veille rédigée par Pauline, Léana, Simon, Camille, Baptiste, Raphaëlle et Elias.
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