Veille stratégique – Avril 2024 1/2

FRANCE 

La France rehausse le niveau du dispositif Vigipirate

Après l’attentat de Moscou du 22 avril revendiqué par l’État islamique au Khorassan (EI-K), la France a placé la posture Vigipirate à son plus haut niveau, à savoir « urgence attentat », à la suite d’un conseil de défense. Ainsi, 4000 militaires supplémentaires sont désormais en alerte pour appuyer en cas de besoin les 3000 militaires déjà déployés dans le cadre de l’opération Sentinelle.

  • Le premier ministre Gabriel Attal a annoncé que la France avait déjoué 74 projets d’attentat depuis 2015, dont deux en 2024.
  • Le rehaussement du niveau d’alerte attentat comprend notamment le renforcement de la sécurité devant les écoles, les lieux de culte et dans les transports.

Le ministre des Armées évoque la possibilité de réquisitionner les industriels de la défense

Afin d’accélérer la production de certains équipements, le ministre des Armées Sébastien Lecornu a évoqué la possibilité d’opérer des réquisitions auprès des industriels œuvrant dans le secteur de la défense, le 26 mars. Concrètement, il s’agirait de contraindre ces derniers et leurs sous-traitants à prioriser les commandes militaires au détriment des commandes civiles. M. Lecornu a également annoncé le doublement des livraisons à l’Ukraine de bombes planantes AASM produites par Safran. En ce qui concerne les obus de 155mm, produits par Nexter, l’objectif est de passer d’une production de de 100 000 en 2024 à 150 000 en 2025. L’armée française va enfin doubler ses commandes de missiles sol-air Aster, produits par MBDA.

  • La volonté d’accroître les cadences de production résulte à la fois de la nécessité d’armer l’Ukraine sur le temps long et du besoin de la marine nationale de reconstituer ses stocks, ses opérations de sécurisation en mer Rouge consommant par exemple de nombreux missiles Aster.
  • La dernière loi de programmation militaire a opéré une réforme du régime de réquisition.

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EUROPE

Au Danemark, le chef d’état-major démis de ses fonctions

Le 3 avril, le ministre de la Défense danois a indiqué, selon ses termes, avoir « renvoyé chez lui » le général Flemming Lentfer, chef d’état-major des forces du pays. L’intérim sera exercé par le général Michael Hyldgaard, auparavant à la tête du commandement des opérations spéciales. Cette décision fait notamment suite aux importants incidents techniques rencontrés récemment par la frégate Iver Huitfeldt en Mer rouge, associés à des difficultés communicationnelles entre le ministère de la Défense et l’état-major des armées.

  • Le 9 mars, le bâtiment danois s’est trouvé engagé contre des drones kamikazes houthis. Si quatre d’entre eux ont finalement été abattus, la situation aurait pu être catastrophique. En effet, pendant une trentaine de minutes, la frégate a été incapable de faire usage de ses systèmes d’armement. En outre, les obus anti-aériens tirés se sont révélés pour la plupart défectueux.
  • Le ministre de la Défense, Troels Lund Poulsen, aurait été informé des événements quelques jours plus tard. Ce dernier a cependant indiqué n’avoir pris connaissance de l’ampleur de l’incident qu’ultérieurement, par voie de presse.
  • Dans un contexte de dégradation de la situation sécuritaire mondiale, la réaction danoise démontre l’intransigeance inédite des pays occidentaux contre toute atteinte à leur crédibilité politique ou militaire.

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AMÉRIQUES

La pression états-unienne sur son allié israélien s’intensifie

La mort de sept opérateurs de l’ONG World Central Kitchen, tués à Gaza par une frappe de l’armée israélienne le 1er avril dernier, a accentué la pression sur la Maison Blanche et son soutien à Israël. Haussant le ton, le président Joe Biden s’est dit “outré et écoeuré” par ce qui a été décrit comme un accident par les forces israéliennes. Lors de l’échange téléphonique avec le Premier Ministre Netanyahou qui a suivi la frappe, il a par ailleurs exigé la mise en place d’un cessez-le-feu, ainsi que de “mesures concrètes et tangibles” de la part d’Israël afin de soulager la situation humanitaire à Gaza.

  • L’émoi suscité par la mort des opérateurs humanitaires a renforcé la critique au sein de l’opinion politique et de l’électorat démocrate, à quelques mois des élections américaines.
  • Le malaise américain vis-à-vis de la gestion du conflit par le gouvernement Netanyahou s’était déjà matérialisé par l’abstention américaine, après des multiples vétos, qui avait permis au Conseil de Sécurité de voter fin mars une résolution exigeant un cessez-le-feu temporaire à Gaza. Une décision suscitant l’indignation du Premier ministre israélien, qui avait annulé son déplacement à Washington.
  • En réponse au durcissement de la rhétorique américaine, le gouvernement de Netanyahu a approuvé des mesures facilitant l’acheminement de l’aide humanitaire, ignorant toutefois l’injonction à un « cessez-le-feu immédiat ». Des incertitudes demeurent à ce stade autour des effets concrets de la politique américaine vis-à-vis du conflit, en cas de non-respect des gages requis à Israël.
  • En rendant publique son enquête interne, Tsahal a en outre admis que la mort des membres de World Central Kitchen avait été provoquée par « une grave erreur résultant d’une grave défaillance due à une identification erronée, à des erreurs de décision et à une attaque contraire aux procédures opérationnelles standard». Le major a la tête de la brigade qui a autorisé la frappe, ainsi que le colonel de réserve qui se trouvait avec lui, ont été limogés.

Le Mexique rompt ses relations diplomatiques avec l’Equateur suite à l’attaque de son ambassade par la police équatorienne

Samedi 6 avril, le président du Mexique, Manuel Lopez Obrador a annoncé la suspension légale immédiate des relations diplomatiques de son pays avec le gouvernement équatorien de Daniel Noboa. Cette mesure drastique a été prise à la suite de l’irruption, dans la nuit du 5 avril, d’ agents de police équatoriens dans l’ambassade mexicaine à Quito. A bord de chars blindés, la police équatorienne a capturé l’ancien vice-président équatorien Jorge Glass, auquel l’Etat mexicain venait d’octroyer l’asile politique et qui a été envoyé dans la prison de haute sécurité de La Roca, à Guayaquil. Afin de pénétrer dans la structure, les agents ont cassé les barreaux avec un coupe-froid et ont secoué violemment un diplomate qui essayait d’empêcher la violation de l’espace consulaire.

  • Les autorités mexicaines ont immédiatement annoncé la saisine de la Cour de Justice afin d’engager la responsabilité de l’Equateur pour “violation flagrante du droit international et de la souveraineté”, s’appuyant sur le fait que, au titre de la Convention de Vienne, les ambassades et les consulats sont des espaces où s’exerce la souveraineté nationale des Etats et qui sont donc inviolables. Par ordre de la secrétaire aux relations extérieures, Alicia Barcena, le personnel diplomatique mexicain s’apprête à quitter le pays.
  • L’irruption nocturne des agents de police équatorienne représente le point culminant des frictions entre les présidents mexicains et équatoriens, qui ont explosé au cours de la semaine précédente.
  • Suite à un commentaire de la part de Lopez Obrador, suggérant que le président équatorien avait bénéficié de l’assessinat d’un autre candidat, quelques mois avant les élections de 2023, le gouvernement de Noboa avait expulsé l’ambassadrice mexicaine à Quito, en la définissant persona non grata. En réponse, le gouvernement mexicain a octroyé le statut de réfugié politique à Jorge Glass, ancien vice-président équatorien sous la présidence de Rafael Correa, actuellement exilé en Belgique. Caractérisant cette décision comme “illégale”, Noboa a décidé de recourir à l’assaut de l’ambassade mexicaine.
  • Ayant passé déjà cinq ans en prison, Glass, condamné pour corruption et actuellement sous enquête pour détournement de fonds, s’était réfugié dans l’ambassade mexicaine afin d’échapper à la prison préventive que la justice équatorienne s’apprêtait à disposer. Pour les partisans de l’ancien président Correa, ces jugements font partie de la persécution judiciaire du gouvernement à l’égard de ses opposants.
  • Les tensions entre le Mexique et l’Equateur, s’ajoutant à celles entre l’Argentine d’un côté et le Brésil et la Colombie de l’autre, reflètent les divisions idéologiques et géopolitiques qui fracturent la région et menacent d’avoir des répercussions sur la stabilité des relations au sein de toute la région.

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RUSSIE/NEI

Un discours russe évolutif sur les attentats du Crocus City Hall

Après les attentats du Crocus City Hall, ayant fait plus de 140 morts le 22 mars dans la banlieue de Moscou, vient le temps des accusations. Mais le discours russe sur les prétendus responsables de l’attentat est évolutif, ce qui laisse largement penser à une instrumentalisation de cette attaque pour alimenter la propagande du Kremlin. Ainsi, Moscou a rapidement éludé la revendication de l’attentat par le groupe État islamique au Khorassan, préférant accuser l’Ukraine d’avoir commandité l’attentat. Mais les dénonciations russes se tournent désormais davantage contre les Occidentaux, reconnaissant que l’attentat a été perpétré par des islamistes, mais soutenus par l’Europe ou les Etats-Unis.

  • La piste ukrainienne a été décrédibilisée lorsque, le 26 mars, le président biélorusse Alexandre Loukachenko a affirmé que les terroristes du Crocus City Hall avaient été empêchés de traverser sa frontière et contraints de se rediriger vers l’Ukraine, allant à l’encontre de la version russe selon laquelle les terroristes auraient directement fui vers l’Ukraine.
  • Les Etats-Unis avaient, en mars, prévenu la Russie de la possibilité d’un attentat imminent sur son territoire, mise en garde ignorée. Cela met cependant à mal la version selon laquelle les Occidentaux auraient fomenté l’attentat.
  • Les insinuations russes se sont récemment tournées vers la France, lorsque le ministre français des Armées S. Lecornu a sollicité un appel téléphonique avec son homologue russe le 3 avril, afin de discuter de la lutte antiterroriste. L’appel fut vraisemblablement infructueux, et Sergueï Choïgou a déclaré à l’issue : “Nous espérons que les services secrets français ne sont pas derrière cela”.

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AFRIQUE

Une attaque terroriste revendiquée par l’Etat islamique tue 23 militaires au Niger

Jeudi 21 mars, le ministère nigérien de la défense a annoncé la mort de 23 militaires dans « une embuscade » tendue par « des terroristes » lors d’une « opération de ratissage » dans la région de Tillabéri, située dans la zone des trois frontières, entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso.

  • Plus d’une centaine de terroristes à bord de véhicules et de motos ont attaqué l’armée entre les localités de Teguey et Bankilaré avec des « bombes artisanales et des véhicules kamikazes » d’après le ministère nigérien. Une trentaine d’entre eux aurait été neutralisée.
  • La région de Tillabéri est en proie à plusieurs groupes djihadistes sahéliens notamment l’Etat islamique dans le grand Sahara (EIGS) et Al-Qaida.
  • Samedi 23 mars, l’Etat islamique a revendiqué l’attaque via un communiqué publié par son agence de presse Amaq et diffusé sur sa chaîne Telegram.

Stéphane Séjourné en visite en Afrique : « Nous voulons réaffirmer que l’Afrique est une de nos priorités »

Le ministre des Affaires étrangères français a débuté vendredi 5 avril sa première tournée africaine au cours de laquelle il visitera le Kenya, le Rwanda et la Côte d’Ivoire, trois pays avec lesquels « les relations bilatérales sont bonnes ». Après une année marquée par la montée sans conteste du sentiment anti français et la chute de l’influence de Paris sur le continent africain, la visite du ministre démontre qu’il « y a des partenariats fructueux pour la France en Afrique » (Quai d’Orsay).

  • Première étape pour ce voyage, le Kenya, où un appel à « l’ambition climatique » doit être lancé à l’occasion de la venue du ministre à Nairobi.
  • Dimanche 7 avril, se tiendra au Rwanda la trentième commémoration du génocide, dossier sur lequel la France a engagé un travail mémoriel en reconnaissant sa responsabilité.
  • Enfin, le ministre terminera sa visite par la Côte d’Ivoire, dernier partenaire de poids pour la France, dans une Afrique de l’Ouest en pleine recomposition.

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ASIE

Un véto russe à l’ONU entraîne la dissolution du groupe d’experts chargé de surveiller les sanctions contre la Corée du Nord

Le 28 mars, le mandat du Groupe d’experts assistant le Comité des sanctions contre la République populaire démocratique de Corée n’a pas été renouvelé par le Conseil de sécurité de l’ONU. Prolongé pour un an en mars dernier, il expirera le 30 avril. Pékin s’est abstenu lors du vote, tandis que Moscou a opposé son véto en soulignant l’inefficacité des sanctions et les conséquences sur la situation humanitaire du pays. Par ailleurs, la Corée du Nord a effectué un nouveau tir de missile balistique cinq jours plus tard, le troisième de l’année.

  • Pyongyang ayant effectué son premier essai nucléaire en 2006, le Conseil de sécurité de l’ONU a voté plusieurs résolutions sanctionnant militairement et économiquement le régime nord-coréen. Partisanes d’un allégement des sanctions, la Russie et la Chine soutiennent régulièrement l’instauration d’une « clause d’extinction » visant à les réévaluer périodiquement.
  • Le véto russe s’inscrit dans un contexte marqué par la suspicion de livraisons d’armes de la Corée du Nord en Russie. Selon une déclaration du ministre de la Défense sud-coréenne en mars dernier, près de 7000 conteneurs auraient été exportés pour soutenir la guerre que mène la Russie en Ukraine.
  • Depuis 2009, le groupe d’experts publie des rapports deux fois par an pour évaluer l’application du régime de sanctions. Dans son dernier rapport, il évoquait justement le début d’une enquête sur les exportations « d’armes conventionnelles et de munitions » de la Corée du Nord, notamment vers la Russie. Détaillant les violations des sanctions de la communauté internationale, il s’attardait aussi sur les cyberattaques présumées du régime nord-coréen et leur rôle dans le financement du programme nucléaire.

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AFRIQUE DU NORD/MO

Israël frappe le consulat iranien à Damas, l’Iran menace de répliquer

Lundi 1er avril, une frappe imputée à Israël a rasé un bâtiment annexe de l’ambassade d’Iran en Syrie, dédié aux activités consulaires. Le bilan serait de 13 morts, six Syriens et sept Iraniens, membres du Corps des Gardiens de la révolution. Parmi eux se trouvaient Mohammad Reza Zahedi, général de la Force al-Qods, spécialisée dans les opérations extérieures. Israël n’a pas revendiqué ni commenté l’attaque. 

  • Le président iranien Ibrahim Raïssi a pour sa part averti que « ce crime lâche ne restera pas sans réponse », alors qu’il s’agit de la première attaque contre un bâtiment diplomatique iranien en Syrie, « inviolable » selon le droit international.
  • Si cette nouvelle frappe nourrit les craintes d’une escalade dans la région, sous tension depuis le 7 octobre, Téhéran semble prendre toutes les précautions pour éviter un conflit ouvert avec Israël. Malgré la pression croissante, une réponse relativement limitée serait, en principe, attendue.
  • Sur demande de la Russie, alliée du président syrien et de l’Iran, le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu une réunion le lendemain, mardi 2 avril. La Chine a également condamné cette attaque, réclamant le respect de « la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de la Syrie ».

E. B.

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