[Prix du livre SPDS 2023-2024] Compte rendu de lecture 4 : Les câbles sous-marins

Compte rendu 4 : Les câbles sous-marins

Camille Morel est une chercheuse en relations internationales associée à l’Institut d’études de stratégie et de défense (IESD) de l’université Jean Moulin Lyon III et au Centre d’étude stratégique de la Marine (CESM). Docteure en droit public, elle concentre ses recherches sur la géopolitique des câbles sous-marins et la place de la technologie dans les relations internationales. Dans son ouvrage Les câbles sous-marins, publié en 2023 aux éditions CNRS, l’auteure s’intéresse à ces infrastructures, largement méconnues, par lesquelles transitent pourtant plus de 98% des flux d’informations mondiaux.

1,3 millions de kilomètres de câbles et 500 câbles sous-marins en activité : voilà sur quoi repose la société moderne. Depuis la première liaison installée en 1851 entre Douvres et Calais, les câbles sous-marins n’ont cessé de se développer et leur rôle économique et social d’augmenter. Dans son ouvrage, Camille Morel propose un tour d’horizon complet du sujet. Présentant d’abord ces infrastructures numériques qui se répartissent sous les océans et leur fonctionnement, l’ouvrage propose ensuite un panorama des différents acteurs qui régissent l’écosystème des câbles sous-marins. Intrinsèquement liés à la maîtrise de l’information sur la scène internationale, les câbles sous-marins et leur contrôle intéressent de plus en plus les Etats.

Un écosystème largement dominé par les acteurs privés

Camille Morel retrace au travers de son ouvrage, les différentes évolutions du « secteur de l’économie bleue », remontant au développement de l’époque télégraphique. Depuis celle-ci, le marché des câbles sous-marins s’est construit autour d’une multitude d’acteurs privés. Parmi eux, trois types sont cependant à distinguer : les producteurs de câbles, qui fournissent l’infrastructure ; les propriétaires de câbles, généralement des acteurs de télécommunication réunis en consortium mais aujourd’hui concurrencés par les géants du Net ; et enfin les poseurs de câbles, qui se chargent également des réparations. Quatre entreprises dominent le marché actuellement : TE Subcom (Etats-Unis), la branche Submarine Network (France) de Nokia, NEC (Japon) et HMN Technologies (Chine).

L’auteure révèle une rupture provoquée par l’arrivée des GAFAM sur le marché des câbles sous-marins, aux alentours de 2010. En effet, si ces entreprises se contentaient jusqu’à présent de louer de la capacité aux opérateurs de télécommunications, elles s’affranchissent petit à petit de leurs intermédiaires en devenant des « propriétaires de câbles à part entière ». Si cette arrivée a conduit à une augmentation conséquente du nombre de câbles – la capacité de la toile mondiale aurait été multipliée par 13 entre 2012 et 2016 – elle a aussi provoqué une restructuration économique en introduisant la mise en concurrence des différents producteurs de câbles. 

Un renouveau de l’intérêt des Etats pour les câbles sous-marins

Depuis leur apparition, les câbles sous-marins ont systématiquement représenté un intérêt majeur pour les Etats et ont été instrumentalisés au service de leur puissance tutélaire. Ces infrastructures, à la fois maritimes et numériques, sont confrontées à plusieurs menaces : l’atteinte à leur intégrité physique (coupure, sabotage), mais aussi l’atteinte à l’intégrité des données qui transitent par elles (censure, renseignement…). Intrinsèquement liés à la maîtrise de l’information, les câbles sous-marins ainsi que leur contrôle se retrouvent ainsi au cœur des intérêts des Etats. Bien qu’ils aient toujours été une cible de choix, on assiste à une véritable recrudescence des tensions autour de ces infrastructures, notamment en raison de la double dimension qu’ils revêtent. En conséquence, les organisations multilatérales s’intéressent de plus en plus à la question des câbles sous-marins. C’est le cas notamment de l’OTAN, qui, depuis 2010, multiplie les travaux de prospective et de recherche sur les enjeux stratégiques liés à ces infrastructures. La protection de celles-ci se retrouve également au cœur des politiques nationales des Etats, qui cherchent à améliorer leur résilience numérique. Camille Morel développe l’exemple des Etats-Unis, pionniers en la matière. Ces derniers se sont penchés sur la question depuis 2008, après la coupure de plusieurs câbles sous-marins en Méditerranée, empêchant la transmission de certaines informations militaires depuis les théâtres de guerre sur lesquels ils étaient engagés. En parallèle de ces mesures de protection, le pays développe également des politiques plus offensives centrées notamment sur la captation d’information, comme en témoignent les révélations d’Edward Snowden sur les activités de la NSA en 2013.

Une partie de l’ouvrage est par ailleurs dédiée aux menaces représentées par la Russie, qui s’intéresse aux infrastructures sous-marines de l’OTAN depuis 2014. La présence de bâtiments russes à proximité des câbles et l’existence de missions de recherche atypique réalisées par des sous-marins liés aux renseignements militaires sont des indices suffisants pour crédibiliser la menace russe sur les câbles. L’auteure n’oublie enfin pas de mentionner la montée en puissance de la Chine, qui a spécifiquement mentionné l’intérêt du numérique et des câbles sous-marins dans les documents stratégiques des « nouvelles routes de la soie ».

Des infrastructures qui font face à de nombreux défis

L’ouvrage de Camille Morel s’intéresse aux nombreux défis posés par les câbles sous-marins. De nombreuses questions se posent premièrement quant à la régulation des activités maritimes sur le plan juridique. Situés presque intégralement en haute mer – un espace qui ne relève d’aucune juridiction étatique – et posés au fond des océans – considéré en partie comme patrimoine commun de l’humanité, l’établissement d’un encadrement et d’une gouvernance propre représente un défi majeur des prochaines années. Si la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Convention de Montego Bay de 1982) encadre aujourd’hui juridiquement les câbles, l’auteure s’interroge sur son efficacité. Les activités liées aux câbles sous-marins ont en outre naturellement un impact sur le plan environnemental. Bien que relativement limité, des questions se posent quant au retrait des infrastructures, une fois devenues obsolètes . Aujourd’hui, après une durée de vie d’environ 25 ans, les câbles hors d’usage demeurent au fond des océans, participant à la pollution de l’environnement marin. 

Notre avis

L’ouvrage de Camille Morel explore en profondeur l’importance des câbles sous-marins, révélant les enjeux stratégiques cruciaux qu’ils représentent aujourd’hui, notamment à l’échelle internationale. Éclairant un sujet méconnu, l’ouvrage de Camille Morel représente un apport nécessaire aux débats sur les enjeux maritimes. La partie dédiée à la posture de la France dans le domaine des câbles sous-marins est également très appréciée, puisqu’elle présente les enjeux stratégiques français dans le domaine tout en exposant les dynamiques plus larges de la politique étrangère française. Enfin, si Camille Morel mentionne les nombreux défis qui attendent ce « réseau d’avenir », on pourrait lui reprocher de pécher par excès d’optimisme.Bien qu’elle développe les nombreux enjeux géopolitiques ou environnementaux, elle ne mentionne pas ou peu la thématique de l’exploration/exploitation des fonds marins et ses conséquences géopolitiques. Alors que les câbles bénéficient aujourd’hui d’une certaine protection de l’invisible, la connaissance accrue des fonds marins permise par leur exploration/exploitation accentuera davantage la vulnérabilité des infrastructures et ainsi leur mise en péril.

 

Emma JOYEUX

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