Veille stratégique – Mars 2021 (3/3)

EUROPE

Londres publie une nouvelle Integrated Review

Mardi 16 mars, le Royaume-Uni a publié sa nouvelle Revue Stratégique. Intitulée Global Britain in a Competitive Age: the Integrated Review of Security, Defence, Development and Foreign Policy, elle actualise l’Integrated Review de 2017, et fixe les objectifs en termes de sécurité nationale et de politique internationale à l’horizon 2025. Dans le domaine du nucléaire, cette nouvelle Integrated Review a annoncé que le nombre de têtes nucléaires serait relevé à 260, alors que l’objectif britannique était jusqu’alors de le réduire à 180. Dans le domaine de la politique étrangère, la Chine est décrite comme un « compétiteur systémique », et non comme un Etat hostile. En revanche, la Russie est présentée comme la menace prioritaire. L’Union Européenne est à peine mentionnée, et l’accent est davantage porté sur la relation avec la France et l’Allemagne. Les Etats-Unis, quant à eux, sont décrits comme « le plus important allié stratégique du Royaume-Uni ». Enfin, une nouvelle législation pour lutter contre l’espionnage (en particulier venant de Chine et de Russie) et les nouvelles menaces telles que la désinformation a été annoncée.

  • Alors que l’allongement du traité Start de réduction des armes stratégiques entre la Russie et les Etats-Unis vient d’être signé, l’annonce du Royaume-Uni d’augmenter son nombre de têtes nucléaires pour la première fois depuis plus de trente ans a fait couler beaucoup d’encre.
  • Si certains commentateurs y voient une décision dangereuse, qui encourage la course aux armements et décrédibilise la participation de Londres aux fora travaillant sur le désarmement, d’autres l’interprètent comme une réaction à la dégradation de l’environnement sécuritaire international – un constat largement partagé par la France. Par ailleurs, ils soulignent que cette révision est opérée de manière transparente et chiffrée – un effort que d’autres puissances nucléaires ne font pas.

Les tensions montent entre la Chine et l’Union Européenne 

Les deux dernières semaines ont été marquées par une montée des tensions entre la Chine et l’Union Européenne. Lundi 23 mars, l’Union a sanctionné la Chine pour la persécution de la communauté Ouïghours en sanctionnant quatre dirigeants chinois et une entité de la région du Xinjiang. En représailles, Pékin a sanctionné dix personnalités européennes, dont plusieurs élus du Parlement européen. Ils sont accusés de « de porter gravement atteinte à la souveraineté et aux intérêts de la Chine et de propager des mensonges et de la désinformation ». Ces élus, ainsi que leurs familles, sont désormais interdits de séjour en Chine, à Hong Kong et à Macao.

  • La dégradation des relations entre l’Union et la Chine et la focalisation des tensions sur la persécution de la communauté Ouïghours n’est pas un phénomène récent. Les liens politiques et commerciaux unissant certains Etats membres (comme la Hongrie) et Pékin ont cependant ralentis l’adoption de sanctions, qui requiert un vote à l’unanimité. Le cumul de l’arrivée de Joe Biden au pouvoir, la pression de l’opinion publique et la gestion critiquée de l’épidémie de coronavirus par la Chine ont permis de faire basculer la balance.
  • Ces sanctions sont symboliquement fortes, mais d’une ampleur limitée. Ainsi, les hauts dignitaires du Parti Communiste Chinois (PCC), comme Chen Quango, le secrétaire du PCC dans la région du Xinjiang, ont été épargnés par l’Union Européenne. Cependant, l’effet cumulé des sanctions des 27 avec celles des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni est loin d’être négligeable. 

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RUSSIE/NEI

Les tensions montent d’un cran entre les États-Unis et la Russie

Mercredi 17 mars, Moscou a rappelé son ambassadeur de Washington après que le président américain Joe Biden a estimé dans une interview à la chaîne ABC que son homologue russe Vladimir Poutine était un « tueur » et qu’il paierait « le prix » de ses actes. Le président russe a répondu à ces accusations en affirmant que « c’est celui qui le dit qui l’est » et a proposé à Biden un « débat en direct à la télévision ». De son côté, Viatcheslav Volodine, le président de la Douma (la chambre basse du Parlement russe), a riposté : « attaquer Poutine c’était attaquer la Russie ».

L’administration Biden a également annoncé une nouvelle série de sanctions contre la Russie en réaction à son utilisation d’armes chimiques contre les opposants politiques, en particulier Alexeï Navalny. Le ministère du Commerce a suspendu les exportations en direction de la Russie des biens présentant un « danger pour la sécurité nationale ». Par ailleurs, les États-Unis préparent de nouvelles sanctions contre le projet de pipeline entre la Russie et l’Allemagne Nord Stream 2.

Le 15 mars, les services de renseignement américains ont par ailleurs publié un rapport accusant la Russie d’ingérence dans les élections présidentielles de 2020. Le rapport vise en particulier les tentatives « d’exacerber les divisions sociologiques aux États-Unis ».

  • Les États-Unis ont déjà imposé une série de sanctions financières à l’encontre de plusieurs hauts responsables russes dont le directeur du FSB Alexandre Bortnikov et le directeur des services pénitentiaires Alexandre Kalachnikov.
  • Les relations sont particulièrement tendues entre les deux pays, notamment en raison des cyberattaques visant l’entreprise américaine SolarWinds en début d’année qui ont conduit à des brèches de sécurité dans plusieurs services gouvernementaux.

 L’Ukraine met en place de nouvelles sanctions contre la Russie

Le 23 mars, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré la mise en place de nouvelles sanctions, visant plusieurs fonctionnaires et entités russes et leur interdisant l’accès au territoire ukrainien. RT, l’agence de presse TASS ainsi que les sites Gazeta.ru et Lenta.ru font partie des entités ciblées. La liste des personnes sanctionnées inclut  trois députés européens français et membres du Rassemblement national : Philippe Olivier, Jean-Lin Lacapelle et Virginie Joron. Ils sont accusés de s’être rendus en Crimée (occupée par la Russie) sans l’autorisation des autorités ukrainiennes.

  • Cela fait maintenant sept ans que la Crimée a été de facto annexée par la Russie. Une annexion ouvertement célébrée par le président russe Vladimir Poutine, qui s’est rendu à un concert à Moscou pour fêter le jour de la « réunification » avec la Crimée. 
  • Depuis les événements de 2014, l’Ukraine affronte des séparatistes à l’est, où deux républiques autoproclamées, la République populaire de Donetsk (DNR) et la République populaire de Lougansk (LNR), s’opposent aux forces de Kiev. Le conflit a fait plus de 13 000 morts et 1,5 millions de déplacés depuis 2014.

Expulsion de diplomates russes et espionnage en Bulgarie

Le 22 mars, plusieurs personnes ont été placées en détention en Bulgarie pour « espionnage en faveur de la Russie ». Des fonctionnaires du ministère de la Défense et du renseignement militaire sont accusés d’avoir transmis des informations classifiées à l’ambassade de Russie. Une des personnes incriminées aurait eu accès à des informations de niveau « Secret UE » et « Secret OTAN ». En représailles, la Bulgarie a expulsé deux diplomates russes. La Russie affirme de son côté que la Bulgarie n’a aucune preuve soutenant ces accusations et s’est déclarée prête à prendre des mesures en réponse.

  • Cette affaire intervient dans le contexte de la campagne électorale  en vue des élections législatives bulgares se tenant le 4 avril. Si le Premier ministre bulgare Boïko Borissov a une position pro-européenne, une partie de l’opinion publique et le parti socialiste sont plus favorables à un rapprochement avec la Russie.
  • Ce n’est pas la première affaire de ce type en Bulgarie : en 2019, Sofia avait expulsé le premier secrétaire de l’ambassade russe, et en 2020, l’attaché militaire russe avait subi le même sort. Les deux hommes étaient  suspectés d’espionnage. 

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PROCHE ET MOYEN-ORIENT

Mise en orbite du premier satellite tunisien

Lundi 22 mars, le premier satellite 100% tunisien « Challenge One » a été mis en orbite avec succès. Il avait décollé le matin même de la base de Baïkonour au Kazakhstan sous le regard du président Kais Saïd via une transmission en direct. Construit par le télécommunicant TelNet, il est destiné à la mise en réseau d’objets connectés. La réalisation de ce satellite est une prouesse technologique qui envoie un signe fort dans un pays où les ingénieurs les plus brillants sont souvent recrutés à l’étranger.

  • Avec ce succès, la Tunisie est devenue le premier pays du Maghreb à fabriquer son propre satellite. Si elle ne dispose pas de lanceur, elle fait preuve de capacités de développement de programmes satellitaires qui pourraient plus tard avoir une application dans le domaine militaire.

Annonce de la réouverture prochaine de l’ambassade de France à Tripoli

Mardi 23 mars, le président français Emmanuel Macron a annoncé la réouverture de l’ambassade de France à Tripoli lors de la réception du nouveau président du Conseil présidentiel libyen Mohammed Al-Menfi. Si cette réouverture est prévue pour le lundi 29 mars, l’ambassade ne sera cependant probablement pas pleinement opérationnelle avant plusieurs semaines. Par ce geste, la France affirme son soutien au processus actuel de transition politique en considérant à nouveau Tripoli comme une zone fréquentable.

  • L’ambassade avait été fermée le 30 juillet 2014 après avoir été plusieurs fois prise pour cible après la chute de Kadhafi et en raison de l’instabilité locale provoquée par l’éclatement de la seconde guerre civile libyenne. Ses services avaient dès lors été déplacés à Tunis.
  • D’autres pays comme Malte ou l’Egypte ont récemment fait part de leur intention de rouvrir leurs ambassades en Libye.

Refus des Houthis d’un cessez-le-feu saoudien

Lundi 22 mars, l’Arabie Saoudite a proposé un cessez-le-feu global pour mettre fin au conflit yéménite. Cette initiative a aussitôt été rejetée par les Houthis qui considèrent le retrait des forces de Riyad et la levée du blocus comme le préalable à une trêve. Les combats se sont donc poursuivis toute la semaine, notamment pour la prise de Marib, l’un des derniers bastions de la coalition gouvernementale dans l’Ouest du pays. Jeudi 25 mars, les tirs quotidiens de missiles par les Houthis à destination de l’Arabie Saoudite ont vraisemblablement été à l’origine d’un incendie dans le réservoir d’un terminal pétrolier de Jizan, ville portuaire à 60 km au Nord du Yémen.

  • Les Houthis semblent être en position de force dans la bataille pour la prise de Marib. Ils n’accepteront sûrement pas de cessez-le-feu avant d’avoir pris ce verrou stratégique. Sa capture leur garantirait en effet la protection de l’un des trois grands axes reliant des territoires sous domination de la coalition à Sanaa, capitale du Yémen que les Houthis contrôlent  depuis 2014.

Signature d’un accord de coopération globale sino-iranien

Samedi 27 mars, l’Iran et la Chine ont conclu à Téhéran un accord de coopération globale pour une durée de vingt-cinq ans. Si les détails de cet accord ne sont pas encore connus, on sait néanmoins qu’il porte sur de nombreux domaines allant des technologies à l’industrie en passant par les transports et l’énergie. Sa signature confirme le développement d’une relation sino-iranienne privilégiée dans le contexte de l’embargo imposé par les Etats-Unis à la République islamique. L’horizon à long terme de l’accord et la diversité des thèmes qu’il aborde ancrent un peu plus l’Iran dans le vaste projet chinois de la nouvelle route de la Soie.

  • La Chine est déjà le premier partenaire commercial de l’Iran. Sur la dernière année écoulée, les importations iraniennes de produits chinois ont atteint 9,7 milliards de dollars et les exportations iraniennes vers la Chine ont atteint 8,9 milliards de dollars.
  • Le maintien de sanctions économiques américaines sur l’Iran et les pays qui commercent avec lui favorise l’approfondissement de ses échanges avec la Chine en écartant des partenaires historiques comme l’Allemagne. Cette situation pourrait conduire à une dépendance totale de la République islamique à Pékin. 

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AMERIQUE

Neutralisation d’une dizaine de membres de groupes paramilitaires au Sud du Venezuela

Samedi 27 mars, le ministère de la Défense vénézuélien a annoncé avoir tué six terroristes et en avoir arrêté trente-neuf autres au cours d’opérations militaires menées dans le Sud du pays. Depuis plus d’une semaine, le Venezuela menait en effet de vastes mouvements pour neutraliser des combattants qu’il accuse d’être soutenus par la Colombie et les Etats-Unis afin de déstabiliser le pays. Selon Bogota, ces groupes paramilitaires sont composés d’anciens membres des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc) qui tentent de prospérer dans des zones isolées au sud du Venezuela. Si elle a perdu au moins deux soldats, l’armée vénézuélienne signe cependant une opération réussie, qui a permis la saisie  d’armes, de drogue ou encore d’équipements technologiques contenant des informations sur les activités des groupes appréhendés.

  • Alors que les Farc ont déposé les armes à la suite du processus de paix signé avec le gouvernement colombien en 2016, certains de ses reliquats insatisfaits tentent de reprendre une assise géographique.
  • Les relations entre la Colombie et le Venezuela sont particulièrement tendues depuis que Bogota a reconnu en 2019 le président de l’Assemblée nationale Juan Guaido comme chef de l’Etat en lieu et place de Nicolas Maduro.

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AFRIQUE

Mozambique : un groupe jihadiste affilié à l’EI s’empare de la ville de Palma

Samedi 27 mars, la ville de Palma située dans la province de Cabo Delgado est tombée sous le contrôle de l’Etat islamique d’Afrique centrale (ISCAP). D’après une source sécuritaire citée par l’AFP, « les forces gouvernementales se sont retirées de Palma, donc la ville est de fait saisie ».  Depuis mercredi, les forces de sécurité du Mozambique (SDS) tentent de rétablir l’ordre dans la ville et de contrer l’offensive menée par le groupe jihadiste sur trois fronts.

  • La province de Cabo Delgado est d’une haute valeur stratégique pour le pays. La découverte d’immenses réserves de gaz naturel dans cette région pourrait faire du Mozambique l’un des premiers producteurs mondiaux. Or, depuis 2017, la province est le théâtre d’une insurrection jihadiste menée par l’ISCAP. Le groupe  a d’abord agi sous le nom d’Ahlu Sunnah wal Jama’a (« les adeptes de la tradition du prophète ») avant de prêter allégeance à l’EI.
  • Palma se situe à dix kilomètres du site d’Anfugi, un mégaprojet gazier censé être opérationnel en 2024 et piloté par le groupe français Total. L’entreprise avait décidé de suspendre ses activités dans la région à la suite de la multiplication des attaques jihadistes. Cette offensive survient au moment où Total annonçait la reprise de ses activités.
  • Concernée par la situation en raison de la présence d’expatriés sud-africains dans la région, l’Afrique du Sud pourrait tenter une intervention. Par ailleurs, une mission des forces spéciales américaines a récemment été lancée dans le but d’entraîner et de former leurs homologues mozambicains. Présente dans la région en raison de la proximité de Mayotte et de l’implication de Total à Cabo Delgado, la France pourrait également appuyer les forces armées du pays. 

Ethiopie : l’Erythrée s’engagerait à retirer ses troupes du Tigré

Jeudi 25 mars, le Premier ministre éthiopien a annoncé que l’Erythrée s’engageait à retirer ses soldats du Tigré. Si depuis le début du conflit, l’Ethiopie et l’Erythrée nient la présence de forces érythréennes au Tigré, ils ont dû se résoudre à reconnaître leur présence sous la pression internationale, accrue ces dernières semaines par la publication de rapports accusant les soldats de crimes de guerre. Dans son annonce, le Premier ministre justifie cette intervention militaire érythréenne par des tirs de roquettes tigréennes sur Asmara « forçant l’Érythrée à traverser la frontière pour empêcher de nouvelles attaques et maintenir sa sécurité ».

  • Depuis novembre, la province éthiopienne du Tigré est en proie à des combats à huis-clos. Une tentative de rébellion de la province menée par le Front populaire de libération du Tigré (FPLT) contre le pouvoir central a entraîné une vaste opération militaire “de rétablissement de l’État de droit”. L’Erythrée s’est allié à l’Ethiopie dans son combat contre le FPLT.
  • Pour l’heure, l’Erythrée n’a pas réagi à cette déclaration. En l’absence de contrôle international, il sera difficile de vérifier que les Erythréens se retirent véritablement. Par ailleurs, la question du sort des soldats accusés de massacres et de crimes de guerre reste irrésolue. 

Cette veille a été rédigée par Gaspard Béquet, Théo Bruyère-Isnard, Claire Mabille, Rhéa Fanneau de la Horie et Maëlle Panza

Comité de rédaction

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