Fin de l’opération Barkhane : la Russie va-t-elle remplacer la France au Mali ? – Réflexion sur le futur de l’influence russe au Mali à l’aune du cas centrafricain

Avec la fin annoncée de l’opération Barkhane et les négociations en cours entre la junte malienne et le groupe Wagner, la Russie s’engagera-t-elle au Mali ? Afin de comprendre les facteurs pouvant conduire à une intervention russe dans ce pays, cet article propose une comparaison du cas malien avec le cas centrafricain, principal laboratoire de la projection russe en Afrique subsaharienne, tant dans les domaines militaire que politique ou informationnel

Le 10 juin 2020, le président Emmanuel Macron annonçait une « transformation profonde de [la] présence militaire [française] au Sahel » lors d’une allocution télévisée1« La fin de l’opération « Barkhane » au Sahel : sauve-qui-peut ou rebond ? », Le Monde, 4 juillet 2021.. La France, présente au Mali depuis 2013 avec l’opération Serval puis Barkhane, va donc modifier en profondeur son dispositif militaire dans le pays, ce qui « traduira la fin de l’opération Barkhane telle que nous la connaissons aujourd’hui »2« Communiqué de presse de Florence Parly, ministre des Armées – Transformation en profondeur de l’opération Barkhane », Paris, 11 juin 2021.. Ainsi, les effectifs de Barkhane (5 300 militaires en juin 2020) devraient être réduits de moitié à l’horizon 2023. Plusieurs bases militaires dans le nord du Mali devraient être fermées (Kidal, Tessalit, Tombouctou) et les efforts français seront davantage centrés sur « le partenariat opérationnel et la coopération3Ibid. ». Si le terme de « désengagement » est proscrit dans la communication de l’Elysée et du ministère des Armées, nombre d’observateurs y voient bel et bien un désengagement français de la région alors que la sécurité n’a pas été rétablie, en dépit des succès tactiques régulièrement obtenus par l’armée français4Ces succès tactiques se traduisent notamment par la neutralisation de « high value targets » (HVT), hauts cadres des groupes armés terroristes (GAT), comme celle d’Adnan Abou Walid Al-Sahraoui, chef de l’État islamique dans le grand Sahara (EIGS), le 17 août 2021..

L’opération Barkhane en septembre 2021. Source : ministère des Armées

L’annonce de cette transformation du dispositif militaire français au Sahel intervient dans un contexte de montée d’un « sentiment antifrançais » dans la région, particulièrement au Mali où différentes manifestations hostiles à la France ont été organisées depuis 2018. La particularité de ces manifestations est qu’elles font appel ouvertement à la Russie pour remplacer Barkhane, « laissant planer le doute sur une influence accrue de Moscou au Mali et sur une prise de contact de ses agents avec des activistes locaux », selon les mots du chercheur Maxime Audinet, auteur d’une étude sur l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone (ASF)5Maxime Audinet, « Le Lion, l’Ours et les Hyènes : Acteurs, pratiques et récits de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone », IRSEM, Étude 83, juillet 2021.. En réponse, le président Emmanuel Macron a publiquement pointé du doigt « la stratégie à l’œuvre […] des puissances étrangères, comme la Russie et la Turquie, qui jouent sur le ressentiment post-colonial » dans les colonnes du magazine Jeune Afrique en novembre 20206« Exclusif – Emmanuel Macron : « Entre la France et l’Afrique, ce doit être une histoire d’amour », Jeune Afrique, 20 novembre 2020..

Alors que le retour de la Russie sur la scène africaine se fait de plus en plus visible ces dernières années, on peut légitimement s’interroger si Moscou va combler le vide qui résultera inévitablement de la fin de l’opération Barkhane. Cette hypothèse rappelle le cas d’un autre pays, la Centrafrique, où la présence russe s’est largement substituée à la présence française après la fin de l’opération Sangaris (2013-2016)7Débutée en 2013, l’opération Sangaris a déployé jusqu’à 2 500 soldats pour faire cesser les massacres intercommunautaires en Centrafrique à la suite du renversement en mars 2013 du président François Bozizé.. La Russie peut-elle remplacer la France au Mali comme elle l’a fait en Centrafrique ?

Le cas centrafricain : comment la Russie a remplacé la présence française en quelques années

La fin de l’opération Sangaris sans retour d’une stabilité durable en Centrafrique

Engagée en Centrafrique avec l’opération Sangaris depuis 2013, la France a mis fin à cette dernière au cours de l’année 2016, réduisant ses effectifs sur le territoire centrafricain de 2500 à 350 hommes, répartis au sein de la mission européenne de formation EUTM, de l’opération de maintien de la paix des Nations Unies MINUSCA ainsi que d’un détachement d’appui opérationnel à Bangui (DETAO). Ce désengagement se justifiait car les objectifs poursuivis par Paris avait été atteints : l’intervention française avait permis d’éviter la chute de l’Etat centrafricain et le chaos qui en aurait résulté, et avait mis fin – temporairement – aux violences qui traversaient alors le pays8« Après l’opération Sangaris, au moins 430 militaires resteront en Centrafrique », Zone militaire, 17 mai 2016.. En outre, le ministère français de la Défense ne voulait pas d’une opération qui s’éternise, au risque de s’enliser, alors qu’il avait besoin de ressources pour des opérations sur d’autres théâtres (Sahel, Levant, France). Cependant, si le pire a bel et bien été évité grâce à l’intervention française, l’opération Sangaris n’a pour autant pas ramené une stabilité durable dans le pays, ni permis de reconquérir les territoires contrôlés par les groupes armés rebelles. C’est alors que la Russie entre en jeu.

L’opportunisme de la Russie

Bien que la Centrafrique ne représente pour Moscou qu’un « partenaire de seconde catégorie9Maxime Audinet, « Le Lion, l’Ours et les Hyènes : Acteurs, pratiques et récits de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone », IRSEM, Étude 83, juillet 2021.» en Afrique, la Russie propose, par opportunisme, de combler le vide laissé par le départ des militaires français. Le début de la coopération Russie-Centrafrique se matérialise en octobre 2017, soit une dizaine de mois après la fin de l’opération Sangaris, lors d’une rencontre entre le ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov et le président centrafricain Faustin Archange Touadéra à Sotchi. A l’issue de cette rencontre, la Russie s’engage à livrer gracieusement des milliers de fusils d’assaut et du matériel anti-aérien aux autorités centrafricaines. Dans la foulée, elle obtient une levée partielle de l’embargo sur la livraison de matériel militaire à la Centrafrique, après un intense lobbying au sein du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU). La première livraison de matériel russe a lieu en janvier 2018.

Une fulgurante montée en puissance de la coopération militaire et sécuritaire

Dès lors, la présence russe en Centrafrique s’accroît de manière fulgurante, passant d’une simple ambassade à des milliers d’hommes en l’espace de quelques mois seulement. Des centaines d’instructeurs sont envoyés pour former et conseiller les forces armées centrafricaines (FACA). Un petit contingent des forces spéciales russes est dépêché pour assurer la sécurité du président Touadéra et un conseiller politique et de sécurité russe, Valeri Zakarov, ancien officier du GRU, est placé à ses côtés dans le palais présidentiel. En outre, l’engagement russe en Centrafrique se distingue par l’envoi de milliers de mercenaires de la société militaire privée Wagner, connue notamment pour son activisme dans la guerre du Donbass ou dans la guerre civile libyenne ainsi que pour son peu de considération pour les droits de l’Homme. Forte aujourd’hui de 1 000 à 2 000 hommes, Wagner se finance en grande partie avec les revenus issus de l’exploitation des ressources minières centrafricaines et met progressivement la main sur l’ensemble du système politique centrafricain10« Centrafrique : La France suspend son aide militaire et l’ONU veut des garanties sur la sécurité des Casques bleus », Zone militaire, 9 juin 2021..

La mise en place d’une campagne de désinformation anti-française au service de Moscou

Outre ce volet purement militaire, relevant du hard power, l’engagement russe en Centrafrique est fortement marqué par une influence informationnelle qui dénigre ouvertement la France, déployant, selon les mots d’Emmanuel Macron, un « discours anti-français qui permet de légitimer une présence de mercenaires prédateurs russes au sommet de l’État, avec un président Touadéra qui est aujourd’hui l’otage du groupe Wagner11« EXCLUSIF. Immigration, terrorisme, colonisation… Les confidences de Macron en Afrique », Le Journal du Dimanche, 29 mai 2021.». La Russie, via une galaxie hétérogène d’acteurs – publics ou non étatiques ; officiels, officieux ou confidentiels – a infiltré l’écosystème centrafricain depuis 2018 pour y mettre en œuvre plusieurs « entreprises d’influences » – campagnes de désinformation en ligne, création de médias, manipulation de journalistes locaux – favorables à l’influence russe et hostiles à la présence française12Maxime Audinet, « Le Lion, l’Ours et les Hyènes : Acteurs, pratiques et récits de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone », IRSEM, Étude 83, juillet 2021.. Depuis, les relations entre la France et la Centrafrique sont fortement dégradées, comme en témoigne la suspension de l’aide budgétaire et de la coopération militaire française en juin dernier à la suite d’une nouvelle campagne anti-française téléguidée par la Russie dont Paris juge Bangui complice13« La France gèle son aide militaire budgétaire et sa coopération militaire avec la Centrafrique », Le Monde, 8 juin 2021..

En somme, le cas de la Centrafrique est un parfait exemple de l’opportunisme dont la Russie peut faire preuve en Afrique, arrivant « sur de nouveaux terrains lorsque l’opportunité s’y présente, par exemple en s’engouffrant dans le vide laissé par le désengagement d’une puissance occidentale14Poline Tchoubar, « La nouvelle stratégie russe en Afrique subsaharienne : nouveaux moyens et nouveaux acteurs », Fondation pour la recherche stratégique, note n°21/2019, octobre 2019. ». Ainsi, comme le révèlent les discussions actuelles entre le gouvernement malien et le groupe Wagner, on peut tout à fait imaginer un accroissement de la présence russe au Mali à la suite de l’opération Barkhane, voire un engagement plus poussé, sur le modèle centrafricain.

De troublantes similitudes entre le contexte centrafricain post-Sangaris et le contexte malien actuel

De nombreux ingrédients pour un entrisme russe au Mali sont aujourd’hui présents, comparables à ceux présents en Centrafrique à la fin de l’opération Serval en 2016, voire même accentués.

Une situation sécuritaire stabilisée mais toujours dégradée

Le premier facteur pour un engagement russe au Mali est l’insécurité qui règne aujourd’hui dans le pays, ce malgré neuf ans d’intervention française. Tout comme la Centrafrique en 2016, la situation sécuritaire au Mali est stabilisée mais reste dégradée : les groupes armés terroristes (GAT) continuent de sévir, particulièrement dans la zone dite des « trois frontières »15La zone des trois frontières se trouve aux confins des territoires du Mali, du Burkina Faso et du Niger. C’est aujourd’hui l’épicentre militaire de la guerre au Sahel., où les attaques djihadistes contre les civils et les forces de défense et de sécurité (FDS) se poursuivent. D’importantes violences intercommunautaires ont régulièrement lieu et le président de la transition malienne, le colonel Asimi Goïta, a été victime d’une tentative d’assassinat en juillet dernier. Face à cette importante crise sécuritaire, le Mali a grandement besoin d’un soutien militaire et pourrait donc logiquement se tourner vers d’autres partenaires pour combler le vide résultant du désengagement français. En effet, ni l’armée malienne, ni l’ONU, ni « Takuba16Lancée en mars 2020, la task force Takuba est une coalition des forces spéciales européennes luttant contre les GAT au Sahel.» sont aujourd’hui en mesure de prendre le relais des opérations françaises17« La fin de l’opération « Barkhane » au Sahel : sauve-qui-peut ou rebond ? », op. cit. . La Russie, qui a conclu un accord de défense avec le Mali le 25 juin 2019, pourrait très bien être ce partenaire et semble en avoir la volonté18Lors de la signature de cet accord de défense, le ministre russe de la défense, Sergeï Choïgou, a déclaré que la Russie était « prête à contribuer à la normalisation de la situation au Mali et à la création de conditions pour une paix et une stabilité durables ».. Alors que des employés de Wagner avaient été vus à Bamako en 201919« Des consultants russes à Bamako : la réactivation d’un lien historique », Franceinfo, 10 décembre 2019., des discussions semblent aujourd’hui être engagées entre la junte malienne et la compagnie de mercenaires russe20« EXCLUSIVE Deal allowing Russian mercenaries into Mali is close – sources », Reuters, 13 septembre 2021..

Des dirigeants prêts à se tourner vers Moscou

Dans un tel contexte, l’engagement de la Russie au Mali après la fin de l’opération Barkhane devient de facto une question politique : l’inclination des dirigeants maliens à laisser la Russie intervenir ou non sur leur territoire constitue le deuxième paramètre pour une implication militaire de Moscou. Depuis le coup d’État perpétré par les forces armées maliennes le 18 août 2020, la junte militaire au pouvoir, mise sous pression par la France pour organiser une transition civile, apparaît proche de la Russie. Le premier diplomate étranger reçu par le pouvoir après le coup d’État fut l’ambassadeur russe et de nombreux putschistes ont suivi des formations en Russie, dont le colonel Assimi Goïta lui-même, qui revenait d’une formation en Russie lors du putsch21« Mali : Des questions sur la présence russe aux côtés de la junte », AllAfrica, 25 août 2020.. Autre exemple : le nouveau premier ministre civil de transition, Choguel Maïga, nommé en juin 2021, a fait ses études à l’institut des télécommunications de Moscou.  En outre, le manque de soutien international à la junte malienne pourrait pousser cette dernière à trouver des alliés parmi les Etats peu soucieux du respect de l’Etat de droit. Au Mali comme en RCA, la logique veut que les dirigeants à la tête d’Etats en déliquescence fassent preuve d’opportunisme et se donnent au plus offrant, capables d’assurer leur sécurité, mais aussi – et surtout – leur maintien au pouvoir. A cet égard, les Russes présentent l’ « avantage » d’être peu regardants sur les affaires internes des pays, par exemple en matière de gouvernance, de corruption ou de respect des droits de l’Homme. Pour le reste, les conditions pour un engagement russe au Mali sont encore plus favorables qu’en Centrafrique en raison des liens historiques entre la Russie et le Mali22Dès son indépendance en 1961, le Mali se tourne vers le « camp du socialisme » et conclut des accords de coopération avec l’URSS. Les deux pays ont entretenu des liens étroits durant toute la Guerre froide, notamment sur le plan militaire..

Un sentiment antifrançais endogène, préexistant à l’influence russe

Contrairement à la Centrafrique où il n’existait pas particulièrement de « sentiment anti-français » à la fin de Sangaris, la critique de la France et de Barkhane est aujourd’hui très importante au Mali, comme en témoignent les différentes manifestations depuis 2018 qui demandent la fin de l’engagement français. Ces manifestations révèlent le sentiment de lassitude partagé par une partie importante de la population malienne qui, après neuf ans d’opération française, ne voit pas ses conditions de sécurité s’améliorer. En effet, selon l’édition 2020 du sondage « Mali-Mètre » de la Friedrich Ebert Stiftung23« Mali-mètre : Enquête d’opinion politique « Que pensent les Malien(ne)s ? » ; Friedrich Ebert Stiftung, mars 2020., 79% des Maliens se disent « insatisfaits » de Barkhane, alors qu’ils n’étaient que 44% en 2018 et 23,4% en 2014. Il reprochent principalement aujourd’hui à Barkhane d’ « être complice des groupes armés » (57,7%) et de « ne pas protéger les populations contre la violence des groupes armés et les terroristes » (53,5%).

Le « sentiment antifrançais » au Mali, d’abord imputable à des facteurs endogènes (insécurité, ressentiment datant de la période coloniale), fait aujourd’hui le jeu de la Russie. En effet, les manifestations « anti-françaises » sont aussi l’occasion pour certains mouvements particulièrement hostiles à la France d’appeler à une coopération accrue avec Moscou pour remplacer Barkhane, drapeaux russes à l’appui. En mai 2021, une manifestation devant l’ambassade de Russie au Mali pour appeler à une intervention russe dans le pays a même été organisée24Ce genre d’évènements laisse au demeurant planer le doute sur une possible instrumentalisation d’activistes locaux par la Russie..

Par ailleurs, la Russie semble aujourd’hui bien implantée dans la sphère informationnelle malienne, beaucoup mieux qu’en Centrafrique en 2016-2017. A titre d’exemple, le Mali est le deuxième pays d’Afrique subsaharienne francophone qui consulte le plus Sputnik France25Maxime Audinet, « Le Lion, l’Ours et les Hyènes : Acteurs, pratiques et récits de l’influence informationnelle russe en Afrique subsaharienne francophone », IRSEM, Étude 83, juillet 2021..

Ainsi, le contexte pour un engagement russe au Mali après Barkhane paraît plus favorable que celui de la Centrafrique à la fin de Sangaris où la population ne souhaitait pas particulièrement un départ des Français.

Comparaison Centrafrique-Mali : apports et limites

 Une politique de la France qui diffère d’un cas à l’autre

Malgré le grand nombre de similitudes entre le contexte malien actuel et celui de la Centrafrique à la fin de Sangaris, la comparaison présente des limites. La principale différence entre les deux situations est la politique de Paris vis-à-vis de ces deux guerres. Si les effectifs français au Sahel seront réduits, cette transformation du dispositif militaire s’annonce moins drastique qu’en Centrafrique. En effet, seulement la moitié des 5 300 militaires déployés par Barkhane devrait quitter le Sahel. Selon les annonces actuelles, il resterait alors encore environ 2 500 soldats dans la zone, sans compter les forces spéciales engagées au sein des task forces Sabre (française) et Takuba (européenne). En Centrafrique, le désengagement français avait été beaucoup plus marqué, réduisant les effectifs français d’environ 2 500 militaires à 350. Ces différences s’expliquent par l’importance stratégique plus grande accordée au Mali aujourd’hui qu’à la Centrafrique alors. En Centrafrique, il s’agissait d’intervenir dans une guerre civile entre des acteurs locaux d’un « petit » pays d’Afrique central, relativement éloigné de la France. Au Mali, et plus largement au Sahel, l’armée française intervient d’abord au nom de la lutte contre le terrorisme, qui menace de déstabiliser non pas un seul pays mais une partie importante de l’Afrique subsaharienne, dans une région géographiquement proche du sud de l’Europe. La lutte contre le terrorisme étant l’une des grandes priorités de la France, il est fort à parier qu’elle ne souhaite pas quitter le Mali comme elle a quitté la Centrafrique – à moins d’y être contrainte par les autorités locales. C’est d’ailleurs le modèle de la fin de Barkhane mis en avant par le ministère des Armées, évoquant une « transformation » du dispositif militaire français plutôt que d’employer le terme de « désengagement ». La réaction ferme et immédiate de la France aux discussions menées entre la junte malienne et Wagner indique également que Paris entend continuer d’être fortement impliqué au Mali. In fine, cela signifie que le vide laissé par la fin de l’opération Barkhane devrait être relativement moins important qu’en Centrafrique. Bien que cela ne diminue en rien les conditions précitées favorables à un engagement russe, la politique française sera un facteur déterminant d’une hypothétique intervention russe au Mali.

Le modèle économique de Wagner à réinventer

L’autre différence notable entre les cas centrafricain et malien est d’ordre économique. En Centrafrique, le modèle économique de Wagner – et des sociétés qui lui sont liées – repose sur un financement direct issu de l’exploitation minière à travers le pays. Pour résumer, Wagner s’est vu chargé de sécuriser les mines du pays, en contrepartie de concessions sur ces mêmes mines accordées par l’État centrafricain à des entreprises russes qui rémunèrent Wagner avec l’argent issu de l’exploitation des ressources minières. Par conséquent, le modèle économique de Wagner repose en grande partie sur de l’autofinancement. Toutefois, à la différence de la Centrafrique où les zones de ressources minières coïncident avec les zones d’insécurité, le Mali se distingue par la relative stabilité des zones qui comprennent des ressources, notamment en or, dans le sud et le sud-ouest du pays. Les régions où les besoins de sécurité se feront le plus ressentir – dans le nord du pays où la France entend fermer trois bases – sont pauvres en ressources minières. En outre, le secteur minier est plus encadré et structuré au Mali qu’en Centrafrique, et donc plus difficilement pénétrable. Ainsi, le modèle économique qui a fait le succès de Wagner et des entreprises russes en Centrafrique ne paraît pas applicable au Mali, à moins que la junte malienne ne soit prête à céder les concessions minières du sud et du sud-ouest. La société militaire privée Wagner, qui reste avant tout une entreprise à but lucratif, devra donc trouver d’autres façons de se financer.

Pour conclure, l’insécurité qui règne toujours aujourd’hui au Mali, la réduction des effectifs militaires français sur place – particulièrement dans le nord du pays –, la proximité de la junte militaire avec la Russie ainsi que le sentiment antifrançais partagé par une partie de la population sont autant d’ingrédients qui créent un terreau favorable pour un engagement russe au Mali, sur le modèle centrafricain. La politique de la France – et plus largement de la communauté internationale – à cet égard ainsi que les contreparties proposées par les autorités maliennes au groupe Wagner devraient déterminer cet engagement.

Comité de rédaction

3 réflexions sur « Fin de l’opération Barkhane : la Russie va-t-elle remplacer la France au Mali ? – Réflexion sur le futur de l’influence russe au Mali à l’aune du cas centrafricain »

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