[Prix du livre SPDS 2022-2023] Compte rendu de lecture 6 : La guerre qu’on ne voit pas venir

Retrouvez ci-dessous le résumé et notre avis sur le sixième ouvrage sélectionné pour le prix du livre SPDS 2022-2023.

Nathalie Loiseau, député européenne et haute fonctionnaire française, a publié le 19 octobre 2022 son dernier ouvrage, La guerre qu’on ne voit pas venir. Diplomate, elle a été porte-parole de l’ambassade de France aux Etats-Unis de 2002 à 2007, puis a fait plusieurs aller-retours au ministère des Affaires étrangères avant de devenir ministre des Affaires européennes de 2017 à 2019. Devenue députée européenne en 2019, elle est présidente de la sous-commission sécurité et défense (SEDE) du Parlement européen.

En quatre parties, Nathalie Loiseau cherche à analyser et rendre compte des nouvelles formes de menaces qui visent les démocraties occidentales. Par nouvelles menaces, Loiseau entend des opérations qui ne sont certes pas nouvelles (influence, propagande, diffusion de fausses informations, ingérences, etc.) mais qui ont pris une nouvelle ampleur avec le développement du numérique et notre dépendance aux moyens de communication dématérialisés. Selon elle, des Etats autoritaires, parmi lesquels la Chine, la Russie et la Turquie, cherchent à déstabiliser l’Europe libérale et démocratique.

L’utilisation du numérique au cœur des stratégies d’ingérence des détracteurs anti-occidentaux

Nathalie Loiseau dédie trois parties (près de 400 pages) à la dénonciation des actions d’ingérence, sous toutes leurs formes, réalisées par des Etats autoritaires contre des démocraties occidentales, modèle politique que la diplomate entend ici défendre. Elle dresse le tableau des grands pays s’attaquant aux systèmes politiques libéraux et démocratiques, prenant le temps d’analyser à l’aide de nombreux exemples les modalités d’ingérence qu’ils déploient.

Les médias, vecteurs privilégiés de désinformation

Loiseau considère la Russie comme le premier acteur de la guerre d’influence contre l’Occident, développant ses stratégies d’ingérence dans la guerre d’information et de désinformation pour redonner de la grandeur à l’ancienne Russie soviétique et dénigrer les modèles démocratiques. Cette stratégie aurait débuté en 2011, avec la création de Russian Today, ancêtre de RT, puis Sputnik, des médias russes présents jusqu’en 2022 dans différents pays occidentaux pour mettre en valeur la politique de Moscou et véhiculer des fausses informations lors d’échéances électorales ou de crises (ex : vaccins de la Covid-19). Pékin a rapidement pris l’exemple sur Moscou en déployant des médias à destination de la diaspora chinoise avec des discours soutenant la politique du Parti. Ces médias ont également été utilisés par le Kremlin et le parti communiste chinois (PCC) pour manipuler la réalité ou inventer des faits (ex : viol collectif d’une jeune Allemande d’origine russe), en Occident comme en Afrique. Les deux puissances cherchent à étendre leur aura sur le continent africain en utilisant des discours anticoloniaux pour attiser les ressentiments contre les démocraties occidentales, et diffuser des discours pro-russes ou pro-chinois.

Les influenceurs, présents au cœur des démocraties

La Chine comme la Russie peuvent compter sur des personnalités politiques, économiques ou académiques influentes européennes et américaines, en particulier au sein de l’extrême-droite ou de l’extrême-gauche, pour relayer leurs discours antidémocratiques. Les deux puissances alimentent les discours complotistes, qui sèment la division. La Chine a particulièrement investi dans le domaine académique, à travers le réseau d’instituts ou d’antennes Confucius, afin de réécrire l’histoire à son avantage (ex : pas de mention de Tian’anmen), d’imposer sa vision du monde communiste dans les travaux de recherche et de faire pression sur les discours tenus en université sur Taïwan, le Tibet ou encore les Ouïghours. Enfin, du côté de la Turquie, l’influence passe par d’autres influenceurs : les imams. La France, Etat laïque, ne finance pas la formation des imams qui exercent sur son sol : ils sont détachés depuis la Turquie, le Maroc et l’Algérie à travers des accords bilatéraux et sont dépendants de leur pays d’origine. Cet « islam consulaire » ne permet pas de contrôler les valeurs parfois non-démocratiques diffusés par les imams turcs en France.

Le cyberespace, épicentre de la guerre d’influence

Au-delà des moyens physiques que les pays autoritaires déploient, notamment à travers le lobbying au cœur des institutions européennes et internationales, les Etats autoritaires susmentionnés investissent également dans l’espace numérique. Les réseaux sociaux sont une première arme privilégiée : ils permettent la diffusion quasi-instantanée et massive d’informations et entretiennent des chambres d’écho qui peuvent rapidement radicaliser les opinions. La Chine, la Russie et la Turquie les utilisent régulièrement pour diffuser des fausses informations, manipuler les opinions lors d’échéances électorales et ainsi s’immiscer dans la vie politique des démocraties. La Turquie les utilise en particulier pour diffuser et défendre son modèle politique islamo-nationaliste, des valeurs anti-LGBTQIA+ et contre les droits des femmes, et pour s’en prendre régulièrement et de façon très agressive à l’UE (ex : appel à la violence contre les Arméniens, insultes des chefs d’Etats européens, etc.).

En parallèle, la Russie déploie de nombreux moyens pour conduire des cyberattaques importantes sur les infrastructures stratégiques et vitales de nombreux pays, et en particulier les anciennes républiques soviétiques qui ont choisi le camp de l’OTAN ou de l’UE, comme l’Ukraine. Si la Chine utilise davantage les cyberattaques pour de l’espionnage industriel, la Corée du Nord utilise le cybercrime pour financer le développement de la bombe nucléaire. Enfin, l’Iran pratique de façon privilégiée la défiguration (défacement) des sites web occidentaux et l’espionnage, et revendique régulièrement ses actions pour démontrer sa capacité à faire face à l’Occident.

Une participation citoyenne renforcée et un plus grand contrôle du cyberespace pour contrer les ingérences étrangères

Dans la dernière partie de son livre, Loiseau propose des pistes de recommandation pour faire face à ces nouvelles menaces, qu’elle oriente autour de l’éducation aux médias, de la protection des médias légitimes et du contrôle des grandes plateformes (GAFAM).

Selon Loiseau, l’éducation aux médias – afin de stimuler l’esprit critique – est essentielle pour limiter les chambres d’écho entretenues par les algorithmes des réseaux sociaux. Elle permettrait de donner les clés à la société civile pour lutter activement contre les campagnes de désinformation en démentant (debunk) les fausses informations, sur le modèle de ce qui est fait à Taïwan. Les chercheurs doivent également être davantage sensibilisés aux approches qu’ils peuvent faire face, et être en retour transparents quant aux bourses dont ils bénéficient. La société civile a également un rôle à jouer en soutenant financièrement les médias légitimes et traditionnels, qui peinent à survivre sans argent public, et les ONG qui révèlent et cartographient les campagnes de désinformation et manipulation à l’instar de Bellingcat et Graphika.

Les Etats ont également leur rôle à jouer en imposant les mêmes obligations déontologiques aux médias étrangers sur leur territoire qu’aux médias nationaux, et en limitant les lobbyings antidémocratiques, notamment de la part d’anciens dirigeants. De leur côté, les médias doivent être davantage transparents sur les experts qu’ils invitent sur leurs plateaux. Enfin, les Etats doivent contrôler davantage les grandes plateformes, notamment sur la transparence de leurs algorithmes, la modération des contenus haineux, etc. Selon Nathalie Loiseau, l’échelon européen est adéquat pour mener ce genre de bataille, à l’instar du Digital Services Act adopté en 2022.

Notre avis

Dans cet ouvrage, Nathalie Loiseau se pose en défenseure des démocraties européennes, certainement en raison de son statut de député au Parlement européen. A l’aide de nombreux exemples, la diplomate permet aux lecteurs de réaliser l’ampleur des modes opératoires déployés par des États opposés à la démocratie. Si Nathalie Loiseau est parvenue à réaliser un panorama de la menace pour l’Europe, son argumentation souffre de nombreux défauts.

Au-delà de l’égocentrisme très marqué tout au long de l’ouvrage, à coup d’auto-citation de ses prises de paroles dans l’enceinte du Parlement européen, la multiplication d’exemples répétés – parfois plus de cinq fois tout au long des chapitres – donne l’impression d’un étalage de faits d’actualité sans qu’aucun lien ne soit fait entre eux. On ne décerne pas réellement de ligne d’argumentation, rendant l’apport intellectuel de son ouvrage relativement superficiel. C’est sans mentionner l’absence de prise de recul critique sur les (mêmes) méthodes d’influence utilisées par les démocraties occidentales, qui sont à peine mentionnées. En outre, Nathalie Loiseau s’attache tout au long de son ouvrage à glorifier la politique du président Emmanuel Macron et à accuser les extrêmes politiques de tous les maux, allant jusqu’à faire des raccourcis hallucinants. Par exemple, la France Insoumise soutiendrait les Frères musulmans car le parti aborde les thèmes des violences policières et de l’islamophobie, et parce qu’il a obtenu des scores électoraux élevés dans les « banlieues » de Paris (p.123). Enfin, Nathalie Loiseau s’avance très peu dans ses recommandations et ne cite même pas le Rapport Bronner1Le rapport de la commission Bronner, intitulé Les Lumières à l’ère du numérique et publié le 11 janvier 2022, a été commandé par le président Emmanuel Macron au sociologue Gérald Bronner, afin de dresser un état des lieux des mécanismes de la désinformation et des ingérences étrangères sur les réseaux sociaux., publié en janvier 2022, duquel elle a repris certainement l’ensemble de ses propositions.

Rédigé par Camille Maindon

Comité de rédaction

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