[Prix du livre SPDS 2024-2025] Compte rendu de lecture 5 – Pour une éthique du renseignement

Pour une éthique du renseignement (2023) 

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer est docteur en science politique et en philosophie, chercheur et diplomate. Il a débuté sa carrière en tant qu’attaché stagiaire à l’ambassade de France au Turkménistan de 2007 à 2008, avant de devenir chargé de mission au Centre d’analyse, de prévision et de stratégie (CAPS) du Quai d’Orsay entre 2013 et 2016. Par la suite, il a été directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM) de 2016 à 2022. En 2022, il a été nommé ambassadeur de France au Vanuatu. Ses recherches portent essentiellement sur la guerre, le totalitarisme et la manipulation de l’information. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer a été honoré par plusieurs distinctions, notamment le prix Maréchal Foch de l’Académie française en 2013, décerné pour son ouvrage La Guerre au nom de l’humanité : tuer ou laisser mourir. 

Le 8 mars 2023, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer publie Pour une éthique du renseignement aux éditions PUF, un ouvrage consacré aux enjeux éthiques associés aux pratiques de renseignement. Il analyse le domaine de recherche de l’éthique du renseignement en soulevant des questions essentielles et en plaidant pour l’établissement d’un cadre éthique qui serait plus transparent. Dans un contexte où les pratiques de surveillance se multiplient, ce livre s’inscrit comme une réflexion nécessaire sur les pratiques de renseignement. 

Un défi pour les pays démocratiques 

Dans la première partie, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer s’attache à définir et à établir les bases de l’éthique du renseignement, avant de défendre la théorie d’un renseignement juste. Il définit l’éthique comme la science du bien et du mal et le renseignement comme un processus de collecte, d’analyse et de diffusion d’informations stratégiques. Vilmer soutient qu’il est possible de concevoir une éthique du renseignement, malgré l’opinion largement répandue considérant ce domaine comme intrinsèquement immoral. Il souligne la nécessité d’une évaluation éthique pour deux raisons principales. D’une part, cette évaluation permettrait de distinguer un pays démocratique libéral d’un régime autoritaire. D’autre part, elle pourrait contribuer à améliorer la réputation des services de renseignement et à renforcer la confiance du public. L’auteur, en établissant une approche éthique du renseignement, invite ainsi à s’interroger sur les pratiques de renseignement et à évaluer leur caractère éthique. Selon lui, les pratiques des agences de renseignement doivent être plus transparentes tout en restant efficaces. Cependant, cette approche suscite de nombreuses critiques, car beaucoup estiment que le renseignement est un domaine intrinsèquement secret. 

Les enjeux éthiques

Jean-Baptiste Jeangène Vilmer aborde ensuite les enjeux éthiques des pratiques de renseignement. Il commence par explorer l’éthique de la collecte d’informations, notant que cette phase est souvent entachée de manipulation, de tromperie, de corruption, de chantage, ainsi que d’usage de la violence ou de menaces physiques. Ces méthodes compromettent les droits des individus et soulignent l’urgence de mettre en place des pratiques de collecte éthiques, soumises à un contrôle démocratique et à une plus grande transparence. Concernant l’analyse, Vilmer met en garde contre les dangers liés à l’absence de clarté dans les méthodes utilisées, notamment la tendance à politiser l’analyse, ce qui représente une menace importante. Pour illustrer les enjeux éthiques associés à la collecte et à l’analyse d’informations, il évoque les exemples des coopérations internationales et des opérations clandestines, affirmant qu’il existe de nombreux défis éthiques liés à ces deux dimensions. Il insiste donc sur l’importance de mettre en place un cadre clair pour garantir que les pratiques de renseignement soient éthiques.

Différentes approches de l’éthique du renseignement 

Dans la troisième partie, Jean-Baptiste Jeangène Vilmer souligne qu’il existe différentes approches de l’éthique du renseignement. Mettant en avant cinq d’entre elles -réalisme, pacifisme, déontologisme, conséquentialisme et l’éthique de la vertu- l’auteur souligne la diversité des perspectives et les différents dilemmes éthiques dans le renseignement. Critiquant chacune de ses approches, il considère toutefois que ces cadres conceptuels ont des limites, ne pouvant être appliquées à la réalité. Il est crucial de combiner toutes ces théories du renseignement afin de créer une approche nouvelle qui puisse être appliquée concrètement, en tenant compte de la complexité des enjeux du monde contemporain et de l’utilisation de l’intelligence artificielle.

Selon Vilmer, cette approche est celle de la théorie du renseignement juste. Il met en lumière la nécessité d’utiliser la théorie de la guerre juste comme modèle pour construire une éthique du renseignement. Il explique : “de la même manière que dans la guerre tous les coups ne sont pas permis, on pourrait s’attendre à ce que le renseignement ait également des limites morales, des contraintes, des méthodes non recommandables”. Selon lui, il est crucial d’appliquer les mêmes principes éthiques à la guerre et au renseignement. Bien qu’il reconnaisse que la guerre et le renseignement diffèrent —la guerre étant un état d’exception tandis que le renseignement est une activité continue— les évolutions récentes en matière de guerre rendent possible l’application des critères de la guerre au domaine du renseignement. Il établit ainsi une liste de sept critères -cause juste, autorité légitime, bonne intention, proportionnalité, discrimination, dernier recours et chances raisonnables de succès- qui sont traditionnellement associés à la guerre. Appliqués au renseignement, ces critères permettront d’encadrer davantage les pratiques afin qu’elles soient plus transparentes, plus justifiables et donc plus éthiques.

Notre avis  

Pour une éthique du renseignement est un ouvrage destiné à toute personne désireuse de réfléchir à la faisabilité de la thèse du renseignement juste. Il permet de découvrir ce domaine de recherche qui, comme le met en avant Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, est très peu reconnu en France. Sa réflexion, de par les enjeux qu’elle soulève, peut intéresser aussi bien les chercheurs et les professionnels du secteur que les non-initiés intéressés par le sujet.

Soulignant la nécessité de s’interroger sur l’éthique des pratiques de renseignement, l’auteur s’intéresse aux approches traditionnelles avant de considérer qu’il est nécessaire d’aller plus loin pour faire face aux défis contemporains.  Présentant sa théorie qui est celle du renseignement juste inspirée de la guerre juste, il plaide pour un renseignement plus encadré par des normes démocratiques et plus transparent. 

Cependant, la théorie exposée dans l’ouvrage présente certaines limites. À la fin, le lecteur s’interroge sur la possibilité d’instaurer une véritable éthique du renseignement et se demande si cette approche n’est pas finalement trop idéaliste pour être applicable à la réalité. Bien que Jean-Baptiste Jeangène Vilmer mette en lumière l’importance de mieux encadrer le domaine du renseignement, il n’offre pas d’explications concrètes à ce sujet, ce qui crée une zone d’incertitude.

L. R.

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