Il y a des offres qui ne se refusent pas. Dans la continuité d’un stage au cabinet stratégie & politique de l’Etat major de la Marine en juin 2015, j’ai été contactée par le Centre d’Etudes Stratégiques de la Marine pour embarquer sur la frégate antiaérienne le « Cassard ». Ce bâtiment est spécialisé dans la défense des attaques aériennes, et par conséquent ayant pour mission de protéger d’autres bâtiments militaires moins mobiles, tel que le porte-avion Charles de Gaulle.
Alors que je n’avais aucune idée des modalités de cette aventure, l’appel semblait trop inespéré pour oser douter. Après de nombreuses péripéties, me voilà prête à embarquer sur ce navire militaire conçu dans les années 80, depuis la base navale de Toulon.
Durant quatre jours, j’allais vivre une immersion hors du commun dans un milieu des plus clos et secret.
Le confort est sommaire mais les hommes passionnés. La frégate est un vieux bâtiment qui fracasse vaillamment les vagues d’une mer agitée et ses marins, souvent très jeunes, ont l’expérience d’une vie tout aussi tumultueuse.
A bord, je découvre des techniciens, des stratèges, des mécaniciens, des cuisiniers, un commissaire, des matelots, le pacha, le commandant adjoint équipage, le commandant second… Toute une hiérarchie pour un seul corps, un seul et même cap. La discipline et l’autonomie, de même que la patience et le dialogue, sont des qualités de travail et de vie omniprésentes à bord. Au briefing Activités qui expose les exercices militaires organisés conjointement entre la frégate, l’hélicoptère « le tigre » et un SNA (sous-marin nucléaire d’attaque), chaque marin est chargé de présenter une situation stratégique. Les rôles changent. Les questions sont ouvertes, les interventions bienvenues. Pour autant, il existe un véritable cadre normé qui régule l’activité humaine sur le bateau. J’ai personnellement vécu ces quelques jours dans le « carré des officiers », à partager des repas, des cafés, des siestes et des discussions, et même un film. Ces moments de convivialité ne pouvaient pour autant faire oublier à ces hommes et quelques rares femmes, la distance qui les sépare quotidiennement de leurs familles et le poids de leurs obligations.
Vivre en tant que marin implique une certaine philosophie de vie. La patience et la capacité de réaction, sollicitées par l’alternance d’accalmies et de pics d’activité, aussi bien en journée qu’en pleine nuit. J’ai tenté à plusieurs reprises d’adopter pleinement le rythme d’un chef de quart dont le commandement de la frégate prenait effet entre minuit et quatre heures, ou quatre et huit heures du matin. Sans succès. L’horloge biologique des marins est bouleversée par le rythme militaire qui exige une forte concentration à tous moments de la journée, bien que fort heureusement des relais soitent organisés pour rendre ces missions humainement réalisables.
D’autre part, la capacité d’adaptation et de réactivité à tout imprévu est remarquable et digne du plus grand respect. Soumis en permanence à des contraintes opérationnelles, les marins font face afin de toujours atteindre les objectifs de leur mission. Ainsi, le calendrier annuel d’un marin n’a rien de commun avec celui d’un science piste aussi ambitieux dans ses projets de stage qu’un étudiant fraîchement arrivé en Master. Par exemple, les vacances sont loin d’être régulières: une mission d’une durée initiale de 3 semaines, retour prévu la veille de Noël ? Eh bim ! On débarquera une semaine après les fêtes. Ce sont ce type d’imprévus aussi que les marins doivent accepter pour ce métier de passion.
Et enfin, une ambition saine non dénuée d’humilité. D’ailleurs, les espaces de vie sur la frégate sont compartimentés en fonction des grades et chacun sait reconnaître les atouts et les limites de la place qu’il occupe. A certains égards patriarcal (un président du carré est désigné en fonction de l’ancienneté pour faire régner l’ordre dans son compartiment), le système familial stimule les marins à évoluer dans leur carrière, dans le respect de leurs supérieurs et des « midships » (le benjamin du navire) qu’ils ont tous été un jour.
Et au delà des mers… La terre.
Si on ne naît pas marin, du moins le devient-on par vocation. Car à y regarder de près, il n’y a pas d’avantages comparatifs significatifs à s’engager. La passion l’emporte sur la raison. C’est pourquoi une fois à terre, ces hommes ne détournent jamais leur regard de l’horizon.
Ce fût quatre jours qui me parurent une vie entière car d’une intensité sans commune mesure. L’aperçu au plus près d’un monde où le mot travail ne fait plus sens, où l’horloge d’une vie est réglée en fonction des intempéries et péripéties géopolitiques, où la mission ne s’arrête pas même à quai. Car cette mission n’a d’autre nom que la patrie et le courage.
A tous ces hommes et femmes, force tranquille qui veille sur nos terres depuis les mers, mon respect éternel. Et comme la coutume le veut : Bonne route, bonne mer !
Capucine Amez-Droz