[Compte-Rendu] : L’Armée de Terre, un acteur social ?

Le vendredi 23 septembre, l’association Sciences Po Défense & Stratégie recevait, dans le cadre de ses Rencontres de la Défense, le général de Revel et le général Pillet, respectivement commandants du SMA (Service Militaire Adapté) et du SMV (Service Militaire Volontaire) pour une conférence sur le rôle social de l’armée de Terre. Retour d’expérience.

En ce vendredi soir, une quarantaine de personnes s’installent dans l’amphithéâtre Caquot de Sciences Po Paris, tandis que les deux intervenants de la soirée, le général de Revel et le général Pillet, prennent leurs marques, entourés par leurs équipes. A 19h20, Ulysse Thiery, adjoint au pôle Réflexion de SDPS et organisateur de cette conférence, prononce un court discours de bienvenue, avant de laisser la place aux généraux.

Le Service Militaire Adapté, pour l’Outre-Mer

C’est le général de Revel, silhouette solidement sanglée dans un uniforme et crâne rasé, qui entame la conférence. Commandant du Service Militaire Adapté, un service spécifique mis en place dans les départements et communautés d’outre-mer français en 1961, il commence par rappeler que le rôle social de l’armée ne concerne pas que ces deux dispositifs : cela recouvre « tout qui est fait au quotidien par les armées, pour les militaires, les civils et leurs familles ».

Mais le SMA a une valeur particulière, en cela que son but est de « recruter, d’éduquer, de former puis d’insérer » des jeunes ultramarins en grande difficulté, les plus éloignés de l’emploi : sans diplômes, illettrés, sans emploi ni perspective professionnelle… C’est un dispositif militaire d’insertion professionnelle : « la réussite par l’emploi et le travail ».

Créé sous l’impulsion de Michel Debré, ce service est considéré comme utile pour les jeunes, pour les sortir d’un certain marasme économique, mais aussi pour développer ces départements : « on ne leur apprend pas à être soldat pour défendre la patrie », mais à construire des routes, des infrastructures… Le général Nemo, premier commandant du SMA, disait d’ailleurs : « Sous son drapeau, il ne s’inscrira jamais de noms de victoires militaires, mais il est d’autres victoires, celles que l’on gagne contre la misère et e sous-développement ».

D’abord établi aux Antilles et en Guyane, avant d’être étendu aux sept DOM / COM (Martinique, Guadeloupe, Guyane, Réunion, Nouvelle-Calédonie, Mayotte et Polynésie), le SMV est donc composé de sept régiments, commandées à partir de Paris et du ministère des Outre-Mer, son ministère de tutelle, avec un budget annuel de 220 millions d’euros pour encadrer environ 6000 jeunes, ce qui représente environ 12% d’une classe d’âge.

Service mixte, le SMA se doit de recruter des jeunes uniquement volontaires (de 18 à 25), et a des quotas à respecter : au moins 60% sans diplômes de l’Education nationale, et au moins 30% d’illettrés (dans la réalité, souligne le colonel, c’est plus proche des 40%). Les non-diplômés sont le cœur de cible : une formation socio-éducative et professionnelle leur est proposée, dans un métier spécifique en adéquation avec l’offre d’emploi dans leur département. Mais le SMA recrute aussi des diplômés, leur offrant une première formation, ou des diplômés en difficulté qui ont décroché de leur recherche. La durée de la formation varie ainsi selon les profils, de quelques mois à cinq ans maximum.

Et, bien que la formation professionnelle soit utile, c’est surtout la formation personnelle qui est efficace, selon le général de Revel : « le jeune arrive chez nous, on lui met un treillis et on lui donne une formation militaire initiale », cela le structure. Il apprend à recevoir des ordres et vivre avec des camarades, et cela permet de trouver un cadre que la plupart d’entre eux n’avaient pas. Toutes ces compétences sont réutilisées en entreprises et louées par les partenaires du SMA.

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Le Service Militaire Volontaire, « Armer pour l’emploi »

Directement inspiré de son équivalent ultramarin, le SMV a été initié en février 2015 par le président de la République, après une visite outre-mer – et les attentats de janvier, commence le général Pillet, qui préfère s’avancer sur l’estrade et ne pas rester coincé derrière le bureau pour détailler le dispositif dont il a la charge. Officiellement créé le 1er septembre 2015, le SMV a donc à peine un an, et ses effectifs se répartissent, pour le moment, dans trois centres : Montigny-les-Metz, Brétigny-sur-Orge et La Rochelle.

Contrairement au SMA, le SMV est donc encore dans une phase d’expérimentation, conduite sur deux ans, et limitée : seuls 1000 jeunes en profitent actuellement, avec un budget de 40 millions d’euros, prélevé sur le budget du ministère de la Défense – à noter qu’une grande partie a servi à rénover des casernes devenues vétustes, pour accueillir les jeunes et leurs encadrants. Un rapport sera ensuite remis au parlement fin 2016, qui décidera ou non de sa poursuite.

Ainsi, comme outre-mer, il s’agit d’aider les jeunes en difficulté, au chômage, peu ou pas diplômés, en leur imposant un mode de vie militaire : « les jeunes signent un contrat, vivent en tenue, dans des casernes et sont encadrés par des militaires », explique le général. Et l’uniforme fait son petit effet : « grâce à l’uniforme, ces jeunes retrouvent une prestance, ils gagnent confiance en eux ».

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Car le SMV, d’une durée de six à douze mois, se distingue aussi du SMA en ce sens où il n’est pas prioritairement conçu pour former les jeunes à un emploi : des « rudiments métier » sont dispensés, mais il s’agit surtout de donner un cadre aux jeunes, leur redonner goût à l’effort, à la discipline, sachant qu’ils sont déjà volontaires pour vivre cette expérience. « Les gens qu’on reçoit, ce sont des blessés de la vie. On leur apprend déjà à dire bonjour en regardant les gens dans les yeux », rappelle le général. Et surtout, respecter ces jeunes, leur tendre la main, avant que d’autres, peut-être moins bien intentionnés, ne le fassent.

La sélection est également plus poussée qu’en SMA : pour être intégré dans le dispositif, le jeune doit déjà avoir une idée de parcours professionnel, choisi parmi ceux proposés par le SMV et ses partenaires, en fonction du bassin d’emplois : sécurité, restauration, aide à la personne, mais aussi bâtiment et informatique. EuroDisney, Auchan, la SNCF, Veolia ou Securitas comptent ainsi parmi les entreprises partenaires du SMV.

Et tout le monde n’est pas pris : pour 300 places par centre, environ 700 candidatures de volontaires ont été recueillies par l’armée de Terre, au début par le biais des missions locales ou de Pôle Emploi, puis par le bouche-à-oreille. L’âge moyen est de 21 ans et 30% des recrues sont des filles, explique fièrement le général – un taux de féminisation supérieur à celui de l’armée de Terre.

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La voie vers le retour du service militaire obligatoire ?

Après les explications des généraux, place aux questions du public !

Le SMV et le SMA ont-ils vocation à former des militaires d’active ?

Non, l’engagement en tant qu’EVAT (Engagé Volontaire dans l’Armée de Terre) n’est pas notre objectif, assurent les généraux. Ces dispositifs servent avant tout à insérer dans la vie civile. Mais l’armée ne décourage pas pour autant ces vocations, d’autant plus que les besoins sont de plus en plus importants.

Ainsi, chaque année, environ 5% des jeunes du SMA souscrivent un engagement, dans une région traditionnellement fournisseuse d’hommes à l’armée. Pour le SMV, environ 3% des jeunes ayant complété le dispositif se sont engagés.

L’armée ne ferait-elle pas le travail de l’école ?

A cette opinion que l’on entend beaucoup, le général de Revel répond clairement : « nous ne sonnt pas des concurrents de l’Education nationale » … Mais reconnaît quand même qu’il y a un problème en France, et que les jeunes ne devraient pas sortir ainsi du système scolaire.

Ils insistent également sur la modestie des dispositifs, et de la coopération de l’éducation : le ministère détache ainsi chaque année des professeurs pour dispenser des cours au sein du SMA et du SMV, pour combattre l’illettrisme, un « échec de notre société ».

« A un moment de notre histoire, les autorités estiment que les armées peuvent être une partie modeste de la solution que l’ensemble de pays recherche pour ces jeunes », concluent les généraux.

Le service militaire pourrait-il redevenir obligatoire ?

Vœu exprimé par certains politiques, le retour du service militaire semble en faire rêver beaucoup, qu’il concerne toute une population ou certaines catégories. Mais, pour le général de Revel, « cela me semble plus être un effet d’annonce qu’une réalité possible ».

En effet, même si le SMV est appelé à s’étendre, difficile de trouver les moyens suffisants pour encadrer les 100 000 jeunes sans emploi ni formation. « Cela représente 100 régiments, 100 casernes, des milliers d’encadrants qu’il faudrait retirer des opérations actuelles… », explique le général Pillet. « La volonté politique peut beaucoup, mais les investissements sont trop conséquents, et la formation de cadres militaires ne se fait pas comme ça ».

En conclusion, les généraux tiennent à rappeler, comme au début de la conférence, que le rôle social de l’armée ne se limite pas à ces deux dispositifs : le social, c’est aussi la gestion de 130 000 hommes. « C’est dans nos gènes : un soldat ne se battra bien que si son groupe est solide, s’il y a de l’entraide », et c’est à l’armée et ses officiers de créer cette indispensable cohésion sociale.   

Comité de rédaction

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