[Prix du livre SPDS 2023-2024] Compte rendu de lecture 6 : Osons la mer

Compte rendu 6 : Osons la mer

Diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d’un doctorat d’histoire économique, sociale et maritime à la Sorbonne, Christian Buchet s’est ensuite illustré par ses nombreuses responsabilités et recherches au sujet de la mer. Il est ainsi membre de l’Académie de marine, et occupe la chaire d’histoire de la mer à l’Institut catholique de Paris. En 2009, il préside le groupe de travail n°3 du Grenelle de la mer, orienté vers la valorisation des métiers de la mer et l’attractivité des activités maritimes. Entre 2012 et 2018, il endosse la responsabilité de directeur scientifique d’un projet d’ampleur : Océanides. Ce programme de recherche international a réuni 264 chercheurs issus de 40 pays, et visait à mettre en perspective le rôle de la mer dans l’histoire de l’humanité. Auteur de nombreux ouvrages et intervenant régulièrement dans les médias, la vision originale de Christian Buchet est résumée dans son dernier essai, Osons la mer, publié chez le Cherche Midi en mars 2022. 

La mer moteur de l’histoire, la France au coeur de la mer

Avec Osons la mer, Christian Buchet s’attache à démontrer deux grandes idées. Premièrement, à partir des résultats du projet Océanides, celle que la mer a façonné l’histoire de l’humanité : la mer a fait la grandeur et le déclin des empires, elle a ouvert des régions au commerce, à des cultures lointaines, a soutenu l’essor de l’industrie… A travers de multiples exemples et études de cas, l’auteur propose ainsi une histoire mondiale sous un prisme maritime. Secondement, cet essai est un véritable manifeste soulignant le potentiel maritime dont la France dispose et la nécessité d’en tirer profit. Quelle est, selon vous, la date la plus importante de l’histoire de France ? Pour Christian Buchet, la réponse est claire : 1994, année qui voit s’appliquer le nouveau droit de la mer signé en 1982 à Montego Bay. La France devient alors plus vaste qu’elle ne l’a jamais été dans son histoire, disposant de la deuxième ZEE du monde, et la mieux répartie sur le globe. Dès l’introduction, l’auteur pose un objectif : la France peut et doit devenir la première puissance économique mondiale en 2060, elle en a les ressources, mais lui manquent la conscience et la volonté politique. Ces idées peuvent paraître très ambitieuses voire irréalistes, mais Christian Buchet argumente en leur faveur dans cet ouvrage pluridisciplinaire, traitant à la fois de questions économiques, stratégiques, géopolitiques ou encore environnementales. 

Une perspective maritime de l’histoire mondiale

Christian Buchet prend dans cet ouvrage une perspective historique globale, et montre le rôle central joué par la mer dans la puissance et le développement des entités politiques. Ceci jusqu’à proposer un nouveau découpage de l’histoire mondiale sous un prisme maritime, et moins centré sur l’Occident. Vient d’abord le “temps des Méditerranées”, caractérisé dès l’Antiquité par des espaces maritimes dynamiques mais cloisonnés, tels que la mer Méditerranée mais pas seulement : des bassins asiatiques comme la mer de Sulu et la mer des Célèbes sont importants dans le développement et les rapports de force régionaux. Puis arrive le “temps de l’Atlantique”, de la fin du XVe siècle jusqu’au XXe siècle, lors duquel se développe l’hégémonie occidentale sur un espace maritime désormais désenclavé. Enfin, l’époque que nous traversons depuis les années 1990, celle de l’océan mondial, appelée “océanotemporain” par l’auteur, voit émerger de nouvelles puissances maritimes telles que la Chine, et la remise en question de la domination occidentale des océans.

Loin de se contenter d’un découpage théorique de l’histoire mondiale, l’auteur multiplie les cas d’étude démontrant l’importance du développement maritime au cours de l’histoire. La première véritable puissance maritime est selon lui l’Empire perse entre le VIe et le Ve siècle av. JC, qui parvient à développer une puissante flotte, notamment grâce à l’avancée technologique que constituent les trières. Puis se succèdent différentes entités qui, par leur puissance maritime, parviennent à acquérir le contrôle de la Méditerranée et donc la suprématie économique et politique : Athènes, Carthage, Rome… De même plus tard, la mer a permis l’apogée du Portugal au XVIe siècle, ou encore le rayonnement des Provinces-Unies, qui avaient le meilleur niveau de vie du monde au début du XVIIe siècle. Dans cette partie historique, Christian Buchet s’attache également à l’étude de plusieurs conflits tels que la Guerre de Cent ans et la Guerre froide, en passant par les deux guerres mondiales. Il montre le rôle décisif du facteur maritime dans le déroulement et le dénouement de ces guerres, et met en exergue l’importance de la maîtrise des flux.

Pour un destin maritime de la France

Une leçon que l’on retient de la lecture d’Osons la mer, c’est à quel point la France bénéficierait d’une stratégie maritime plus poussée. L’auteur insiste sur le fait qu’une véritable politique maritime ne concerne pas que la pêche et la marine de guerre, c’est aussi et avant tout une politique d’aménagement des territoires. Les activités maritimes ne profitent pas qu’aux littoraux et aux villes portuaires, mais aussi à l’hinterland (arrière-pays) qui bénéficie de nombreuses retombées économiques. La région française la plus connectée à la mer, celle qui en tire le plus de profits, est ainsi… l’Alsace-Lorraine, grâce au rayonnement des ports d’Anvers, de Hambourg et de Rotterdam, qui permet un faible coût du transport de marchandises vers les régions limitrophes ; alors que les porte-conteneurs s’arrêtent beaucoup moins dans des ports français tels que Marseille et Le Havre. Un meilleur aménagement des ports français et de leurs arrière-pays serait donc fortement bénéfique et dynamisant. 

L’auteur insiste également sur les atouts non négligeables que la France possède dans différents domaines maritimes, au-delà d’une vaste ZEE. Que ce soit dans la construction navale haut de gamme, dans la pêche et la conchyliculture, l’ingénierie offshore, la recherche océanographique… nous disposons des premières places européennes, voire mondiales. Sur le plan militaire, Christian Buchet regrette le manque de moyens alloués à la Marine nationale, mais note que nous sommes au troisième rang mondial du point de vue qualitatif : nous avons les technologies de pointe, mais manque encore le volume. Mais il ne faut pas trop tarder pour tirer profit de ces atouts, dans un ”océantemporain” de plus en plus concurrentiel. 

Notre avis

Osons la mer est un ouvrage dont la forme épouse parfaitement le fond et le message : en seulement 200 pages, sans entrer dans trop de technicité, il sensibilise le lecteur à l’importance des océans et à la nécessité d’une meilleure politique maritime pour la France. Il convient ainsi à un public non averti, en lui donnant les clés de compréhension nécessaires et les connaissances de base sur les enjeux maritimes (sur le droit de la mer ou la situation géopolitique actuelle, par exemple). Un lecteur déjà intéressé pourra, lui, piocher dans ce livre différents exemples et cas d’étude. 

Bien qu’une partie de cet essai soit dédié à la France, il n’en est pas franco-centré pour autant. Un effort est fait pour intégrer le monde entier dans une histoire de la mer commune, par l’étude d’autres aires géographiques, notamment asiatiques. Face au nombre de situations et d’enjeux évoqués, on peut cependant regretter que certains ne soient pas davantage creusés. C’est le cas du passage sur l’Empire mongol, exception historique intéressante car, sans jamais prétendre à une quelconque dimension maritime, ce fut l’empire le plus étendu de l’histoire. Les explications apportées sont intéressantes, mais une étude plus approfondie aurait permis de théoriser davantage ce qui fait réellement l’importance du maritime. De même, certains sujets sont éludés concernant la France. Ainsi, l’Outre-mer est présentée comme un véritable atout, mais les situations locales sont peu évoquées, et les rapports avec la France métropolitaine pas du tout. 

Emma JOYEUX

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